Le 16 septembre, les autorités ont empêché Mansoureh Behkish d’embarquer dans un avion en direction de l’Irlande pour rendre visite à sa fille et ont saisi son passeport. Elles lui ont ordonné, par écrit, de se présenter au parquet de la prison d’Evin, à Téhéran, pour le récupérer. Craignant d’être placée en détention, elle ne l’a pas fait. Un mois plus tard, elle a reçu une convocation écrite officielle lui demandant d’aller au même endroit pour « recevoir des informations sur les charges la concernant ». Le document ne fournissait aucune information complémentaire.
Pendant la vague d’homicides et de violences qui a déchiré l’Iran dans les années 1980, Mansoureh Behkish a perdu sa sœur et quatre de ses frères. L’un d’eux, Mohsen, a été condamné à mort et passé par les armes à la prison d’Evin en 1985. Deux autres, Mahmoud et Mohammad Ali, figuraient parmi les quelque 5 000 prisonniers politiques qui ont été coupés du monde extérieur en juillet 1988 avant d’être exécutés en secret, sans jugement, et enterrés à la hâte dans des fosses communes. Le quatrième, Mohammad, a été abattu en pleine rue en mars 1982.
Sa sœur Zahra est morte en détention, quelques heures seulement après son arrestation, en août 1983. Elle a, semble-t-il, succombé aux actes de torture qui lui ont été infligés. Les autorités n’ont jamais restitué aucun des corps. Elles ont indiqué à la famille que Mohsen avait été enterré au cimetière de Behesht e Zahra, à Téhéran. En ce qui concerne la sœur et les autres frères de Mansoureh Behkish, elles ont simplement dit à la famille qu’ils avaient été enterrés à Khavaran sans préciser l’endroit (voir le rapport, en anglais, intitulé Iran : Violations of Human Rights 1987-1990, https://www.amnesty.org/en/documents/mde13/021/1990/en/).
Dans une lettre ouverte adressée symboliquement à sa mère décédée et publiée sur Facebook en novembre 2016, Mansoureh Behkish a écrit : « Chère mère, le monde [dans lequel nous vivons] est sens dessus dessous et les rôles de plaignant et d’accusé sont inversés. Au lieu de rendre des comptes pour les épreuves qu’ils nous ont infligées toutes ces années, ils [les représentants de l’État] continuent de nous harceler et nous violenter [...] Penses-tu que l’on puisse menacer la sécurité nationale en rendant visite à des familles endeuillées [...] ? Quel est ce pays où le fait que des familles aillent ensemble au marché pour acheter de quoi fleurir les tombes anonymes de leurs proches à Kharavan est considéré comme un rassemblement et une collusion portant atteinte à l’État ? » Depuis les années 1980, Mansoureh Behkish a été la cible de harcèlement à répétition et d’arrestations arbitraires, et placée en détention à plusieurs reprises par les services de renseignement et les forces de sécurité. Ces manœuvres visent à la réduire au silence et à l’empêcher de se rendre à Khavaran avec d’autres familles pour disposer des fleurs et des photographies près de la fosse commune (voir le document intitulé L’Iran cherche toujours à effacer des mémoires le « massacre des prisons » de 1988, 25 ans après, https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2013/08/iran-still-seeks-erase-prison-massacre-memories-years/).
Mansoureh Behkish a été déclarée coupable en 2011, après avoir été arrêtée le 12 juin lors d’une manifestation pacifique organisée à Téhéran pour marquer le deuxième anniversaire des manifestations de grande ampleur qui avaient suivi l’élection présidentielle contestée de 2009. Elle a été détenue 28 jours dans la section 209 de la prison d’Evin, sans pouvoir consulter d’avocat, puis libérée sous caution. Elle a passé 18 jours à l’isolement et a été soumise à des interrogatoires prolongés. En décembre 2011, la 15e chambre du tribunal révolutionnaire de Téhéran l’a condamnée à quatre ans d’emprisonnement pour « rassemblement et collusion en vue de porter atteinte à la sécurité nationale » parce qu’elle avait créé le groupe des Mères du parc Laleh et à six mois pour « propagande contre le régime ». En juin 2012, la 54e chambre de la cour d’appel de Téhéran l’a relaxée de la dernière charge et a assorti trois ans et demi de sa peine d’emprisonnement d’un sursis de cinq ans. Mansoureh Behkish n’a jamais été convoquée pour purger les six mois restants (voir le document, en anglais, intitulé Iran urged to quash prison sentence for ‘Mourning Mothers’ activist, https://www.amnesty.org/en/latest/news/2012/04/iran-urged-quash-prison-sentence-mourning-mothers-activist/).
Les autorités iraniennes ont de nouveau engagé des poursuites à l’encontre de Mansoureh Behkish après que les appels en faveur d’une enquête sur la vague d’exécutions de 1988 ont été relancés. En septembre 2016, une séquence audio a été rendue publique pour la première fois ; elle avait été enregistrée lors d’une réunion tenue en 1988 entre des hauts fonctionnaires impliqués dans la vague d’exécutions et l’ayatollah Hossein Ali Montazeri, un haut dignitaire religieux qui a perdu son statut de successeur de l’ayatollah Ruhollah Khomeini en raison de son opposition de principe aux exécutions.
Sont intervenus notamment Mostafa Pour Mohammadi, ministre de la Justice actuel, Hossein Ali Nayyeri, président actuel de la Cour suprême disciplinaire des juges, Morteza Eshraqi, avocat en exercice, et Ebrahim Raissi, responsable actuel de l’une des fondations les plus riches d’Iran, Astan Qods e Razavi. On entend l’ayatollah Montazeri déclarer : « Le plus grand crime commis par la République islamique, pour lequel l’histoire nous condamnera, a été commis par vos mains et l’on se souviendra de vous comme de criminels. »