Le dossier de Manahel al Otaibi a été traité dans un premier temps par le tribunal pénal de Riyadh. Les charges retenues contre elle reposent sur ses publications sur les réseaux sociaux jugées « contraires aux règles et aux lois relatives aux femmes », notamment par l’utilisation du hashtag #EndMaleGuardianship.
Selon des documents de procédure qu’Amnesty International a pu consulter, Manahel al Otaibi a été poursuivie pour « publication et diffusion de contenu comportant la commission de péchés en public et incitant des personnes et des filles dans la société à renoncer aux principes religieux et aux valeurs sociales ainsi qu’à porter atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs sur son compte Twitter », en violation de la Loi relative à la lutte contre la cybercriminalité.
Le 23 janvier 2023, le tribunal pénal a estimé qu’il n’avait pas compétence pour juger cette affaire et l’a renvoyée devant le Tribunlal pénal spécial. Cette juridiction utilise régulièrement des dispositions floues de la législation sur la cybercriminalité et la lutte contre le terrorisme qui assimilent l’expression pacifique d’opinions à du « terrorisme ».
Amnesty International a recueilli des informations attestant que chaque étape de la procédure judiciaire devant le Tribunal pénal spécial est entachée de violations des droits humains. Depuis 2018, les autorités saoudiennes ont arrêté et détenu arbitrairement plusieurs personnes qui faisaient campagne pour mettre fin au système de tutelle masculine et en faveur du droit des femmes de conduire en Arabie saoudite. Des militant·e·s des droits des femmes ont signalé avoir été victimes de harcèlement sexuel, de torture et d’autres formes de mauvais traitements au cours d’interrogatoires. Les personnes libérées font l’objet d’interdictions de voyager et de restrictions de leur liberté d’expression.
Avant la dernière disparition forcée dont Manahel al Otaibi a été victime du 15 décembre 2024 au 15 mars 2025, les autorités saoudiennes l’avaient déjà soumise à une disparition forcée pendant plus de cinq mois, du 5 novembre 2023 jusqu’en avril 2024. Le 14 avril 2024, elle a contacté sa famille et lui a dit qu’elle était détenue à l’isolement à la prison d’Al Malaz, avec une jambe cassée après avoir été rouée de coups en détention, et qu’elle n’avait pas accès à des soins médicaux.
En septembre 2024, après une nouvelle période de détention au secret pendant un mois, elle a pu contacter ses proches et les a informés qu’elle avait été placée à l’isolement pendant un mois entier et rouée de coups par des gardiens de prison et des codétenues. Elle a ajouté qu’elle avait été forcée à nettoyer des toilettes et que, même si elle avait été sortie de sa cellule d’isolement pour les contacter, les autorités pénitentiaires avaient menacé de l’y renvoyer. Sa sœur Fawzia al Otaibi a déclaré à Amnesty International qu’elle pensait que la seule raison pour laquelle Manahel avait finalement été autorisée à téléphoner était de faire passer un message à sa famille pour qu’elle cesse de s’exprimer publiquement au sujet de son incarcération.
Manahel al Otaibi souffre de sclérose en plaques, un trouble neurologique chronique qui, selon sa famille, est apparu après qu’elle a été témoin de l’arrestation de sa sœur aînée, Mariam al Otaibi. Défenseure renommée des droits humains et militante contre le système de tutelle masculine, Mariam a été détenue en 2017 pendant 104 jours pour son action en faveur des droits des femmes, et fait actuellement l’objet d’une interdiction de voyager et de restrictions de la liberté d’expression.
L’autre sœur de Manahel al Otaibi, Fawzia, est elle aussi poursuivie pour sa mobilisation en faveur des droits des femmes. Dans le dossier d’accusation de Manahel al Otaibi, le procureur du tribunal pénal de Riyadh a accusé sa sœur Fawzia de mener une « campagne de propagande pour inciter les filles saoudiennes à dénoncer les principes religieux et à se rebeller contre les coutumes et traditions de la culture saoudienne », parce qu’elle avait utilisé un hashtag « promouvant la libération et la fin de la tutelle masculine ».
L’un des documents judiciaires examinés par Amnesty International indiquait qu’une ordonnance distincte serait émise pour l’arrestation de Fawzia al Otaibi. Celle-ci a fui l’Arabie saoudite par crainte d’être arrêtée après avoir été convoquée pour interrogatoire en 2022.
Dans une affaire similaire à celle de Manahel al Otaibi, le 25 janvier 2023, le Tribunal pénal spécial a de nouveau condamné lors de sa procédure en appel Salma al Shehab, étudiante en doctorat à l’Université de Leeds et mère de deux enfants, à 27 ans de réclusion suivis de 27 ans d’interdiction de voyager. Il l’a déclarée coupable d’infractions liées au terrorisme à l’issue d’un procès d’une iniquité flagrante, pour avoir publié des tweets soutenant les droits des femmes. Le 25 septembre 2024, sa peine a été réduite, passant de 27 ans d’emprisonnement, suivie d’une interdiction de voyager de même durée, à une peine de quatre ans de prison, assortie de quatre ans avec sursis. Le 10 février 2025, elle a été libérée après avoir purgé sa peine.
Depuis 2013, Amnesty International a rassemblé des informations sur les cas d’au moins 86 personnes poursuivies pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, parmi lesquelles des défenseur·e·s des droits humains, des militant·e·s politiques pacifiques, des journalistes, des poètes et des dignitaires religieux – dont 40 pour avoir exprimé pacifiquement leurs opinions sur les réseaux sociaux. Le nombre réel des procédures engagées à ce titre est probablement beaucoup plus élevé.