Ahmed Souab est un avocat et défenseur des droits humains bien connu en Tunisie, notamment parce qu’il critique ouvertement les violations du droit à un procès équitable, les ingérences de l’exécutif dans l’indépendance de la justice et les excès du pouvoir exécutif, en particulier depuis que le président Kaïs Saïed est à la tête du pays. Il a auparavant été juge au sein du Tribunal administratif et a formulé de vives critiques face au démantèlement de l’état de droit après l’accaparement de tous les pouvoirs par Kaïs Saïed le 25 juillet 2021. Ahmed Souab a assuré la défense de plusieurs victimes de violations exerçant des fonctions de premier plan, comme Sonia Dahmani, ainsi que les avocats et militants de l’opposition Ghazi Chaouachi et Ridha Belhaj, tous deux poursuivis dans l’« affaire du complot ».
Le 19 avril 2025, il s’est exprimé lors d’une conférence de presse devant le tribunal de première instance de Tunis à la fin du procès de l’« affaire du complot », qui a abouti à la condamnation injuste de 37 personnes, dont plusieurs dirigeant·e·s de l’opposition, pour des accusations fallacieuses de terrorisme et de complot contre l’État. Il avait assuré la défense de plusieurs prévenus et a critiqué les violations des règles de procédure pendant le procès, les ingérences de l’exécutif dans la procédure judiciaire et le manque d’indépendance du tribunal.
Deux jours plus tard, la Brigade antiterrorisme a arrêté Ahmed Souab et l’a interrogé sur ces commentaires.
Elle l’a détenu au secret pendant 48 heures, en l’empêchant de contacter ses proches et son avocat, avant de le présenter devant le juge d’instruction du pôle judiciaire antiterroriste à Tunis.
Le 23 avril 2025, ce magistrat a ordonné son placement en détention provisoire pendant six mois dans l’attente des conclusions de l’enquête, malgré l’absence d’éléments laissant penser qu’il était impliqué dans une quelconque infraction reconnue par le droit international. Le 30 juin 2025, le juge d’instruction a conclu l’enquête et inculpé officiellement Ahmed Souab pour avoir « divulgu[é], fourn[i] ou publi[é], directement ou indirectement, par tout moyen, des informations au profit d’une organisation ou entente terroriste ou des personnes en rapport avec les infractions terroristes prévues par la [loi contre le terrorisme], pour aider à commettre ou dissimuler ces infractions ou en tirer profit ou assurer l’impunité de ses auteurs » (article 34 de la Loi organique n° 2015-26).
D’autres infractions ont été retenues contre lui, relatives à l’utilisation de réseaux de télécommunications et de systèmes d’information « en vue de produire, répandre, diffuser, ou envoyer, ou rédiger de fausses nouvelles, de fausses données, des rumeurs, des documents faux ou falsifiés ou faussement attribués à autrui dans le but de porter atteinte aux droits d’autrui ou porter préjudice à la sureté publique ou à la défense nationale ou de semer la terreur parmi la population » et « en vue de publier ou de diffuser des nouvelles ou des documents faux ou falsifiés ou des informations contenant des données à caractère personnel, ou attribution de données infondées visant à diffamer les autres, de porter atteinte à leur réputation, de leur nuire financièrement ou moralement, d’inciter à des agressions contre eux ou d’inciter au discours de haine (article 24 du Décret-loi n° 2022-54).
L’équipe de défense d’Ahmed Souab a fait appel de la décision du juge, mais le 17 juillet, la chambre d’accusation a retenu les infractions figurant dans l’acte d’inculpation et ordonné qu’il soit déféré devant le tribunal. Son procès doit débuter le 31 octobre 2025.
L’arrestation d’Ahmed Souab et les poursuites engagées à son encontre visent clairement à le punir pour son travail de défense de victimes de violations des droits humains et parce qu’il a exercé légitimement son droit à la liberté d’expression et son activité professionnelle.
Les normes internationales relatives aux droits humains prévoient que les avocat·e·s doivent pouvoir exercer leurs fonctions sans subir de harcèlement ni d’intimidation et être protégés en tant que défenseur·e·s des droits humains lorsque leur travail vise à promouvoir et protéger ces droits, notamment lorsqu’ils assistent des victimes de violations.
En assimilant le plaidoyer juridique à du terrorisme, les autorités tunisiennes portent à nouveau atteinte au droit à un procès équitable et à l’indépendance de la justice et créent un climat de peur qui empêche les défenseur·e·s des droits humains de faire leur travail essentiel. Le cas d’Ahmed Souab illustre une campagne plus générale des autorités ciblant les personnes qui les critiquent, en particulier lorsqu’il s’agit d’avocat·e·s et de défenseur·e·s des droits humains.
Amnesty International a constaté une utilisation abusive des lois antiterroristes pour poursuivre les actes de dissidence pacifique et une tendance inquiétante qui consiste à s’en prendre aux avocat·e·s représentant des membres de diverses formations politiques de l’opposition, aux militant·e·s et aux défenseur·e·s des droits humains en Tunisie. Ces dernières années, les autorités tunisiennes ont poursuivi ou harcelé plusieurs avocat·e·s uniquement parce qu’ils avaient défendu des personnes détenues pour des raisons politiques ou critiqué publiquement le système judiciaire et l’exécutif.
Les Principes de base des Nations unies relatifs au rôle du barreau affirment que les États doivent veiller à ce que les avocat·e·s puissent « s’acquitter de toutes leurs fonctions professionnelles sans entrave, intimidation, harcèlement ni ingérence indue ». En vertu du principe 18, « les avocats ne doivent pas être assimilés à leurs clients ou à la cause de leurs clients du fait de l’exercice de leurs fonctions ». Le principe 23 dispose en outre : « Les avocats, comme tous les autres citoyens, doivent jouir de la liberté d’expression, de croyance, d’association et de réunion.
En particulier, ils ont le droit de prendre part à des discussions publiques portant sur le droit, l’administration de la justice et la promotion et la protection des droits de l’homme et d’adhérer à des organisations locales, nationales ou internationales, ou d’en constituer, et d’assister à leurs réunions sans subir de restrictions professionnelles du fait de leurs actes légitimes ou de leur adhésion à une organisation légitime. Dans l’exercice de ces droits, les avocats doivent avoir une conduite conforme à la loi et aux normes reconnues et à la déontologie de la profession d’avocat. »
Selon le principe I-b-3 des Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique, les avocats ne doivent pas faire « l’objet, ni [être] menacés de poursuites ou de sanctions économiques ou autres pour toutes les mesures prises conformément à leurs obligations et normes professionnelles reconnues et à leur déontologie ».