Près de trois ans après avoir décrété l’instauration de la loi martiale et pris le pouvoir à la faveur d’un coup d’État, les autorités militaires continuent à restreindre de manière excessive et généralisée le droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique au nom de la sécurité, en violation flagrante des obligations qui incombent à la Thaïlande en vertu du droit international relatif aux droits humains. Les autorités continuent à détourner le système de justice pénale pour harceler et prendre pour cibles les militants et ceux qui sont perçus comme critiques à leur égard, en engageant des poursuites judiciaires contre eux.
À l’heure actuelle, elles s’intéressent de très près aux propos tenus sur Internet, notamment sur Facebook. Des personnes sont notamment poursuivies uniquement pour avoir partagé des messages écrits par d’autres, comme Jatupat Boonpattararaksa, actuellement détenu et à qui une mise en liberté sous caution est refusée parce qu’il a partagé un article de BBC Thai sur Facebook et a refusé de le supprimer (voir https://www.amnesty.org/fr/documents/asa39/5586/2017/fr).
En avril 2017, les autorités thaïlandaises ont déclaré que toute personne communiquant avec le professeur Somsak ou deux autres exilés accusés de crimes de lèse-majesté, ou partageant toute forme d’information sur Facebook émanant de ces trois exilés, ferait l’objet de poursuites au titre de la Loi sur la cybercriminalité. Les messages postés sur Facebook par le professeur Somsak et partagés par des personnes actuellement poursuivies contiendraient des commentaires sur une polémique en cours portant sur le retrait par des inconnus, en avril 2017, d’une plaque commémorative à Bangkok, et son remplacement par une autre plaque.
Cette plaque évoquait le souvenir de la révolution thaïlandaise de 1932, et celle qui l’a remplacée n’y fait aucune mention. En avril 2017, les autorités ont arrêté arbitrairement un militant anti-corruption, ancien prisonnier d’opinion, et ont inculpé un ancien parlementaire élu au titre de la Loi sur la cybercriminalité, après qu’ils eurent soit demandé des explications officielles quant à la disparition de la plaque, soit exprimé des inquiétudes à ce sujet.
Le décret 3/2015 du CNPO confère aux autorités le pouvoir de placer arbitrairement des personnes en détention pour une période d’une durée pouvant aller jusqu’à une semaine sans les inculper, les juger ni les laisser accéder au monde extérieur. Ce décret a permis aux autorités de maintenir arbitrairement en détention jusqu’à une semaine dans des lieux non officiels des personnes critiques – ou perçues comme telles – à l’égard de leurs règles et politiques. Les autorités ont justifié cette forme de détention, communément qualifiée de détention de « rectification des comportements », en affirmant qu’il s’agissait d’une mesure destinée à renforcer la coopération avec leur administration.
En vertu du décret, les autorités peuvent placer des personnes dans des lieux de détention non officiels, sans inculpation, procès ni garanties juridiques, les détenus ne pouvant notamment pas entrer en contact avec leurs proches, consulter un avocat ni saisir les tribunaux. Ces conditions de détention ont facilité la torture et les autres formes de mauvais traitements.
Le Comité des droits de l’homme des Nations unies a récemment recommandé à la Thaïlande de libérer immédiatement toutes les victimes de détention arbitraire et de leur accorder pleinement réparation.
L’avocat Prawet Prapanukul est inculpé de 10 chefs distincts de crime de lèse-majesté, soit le nombre le plus élevé connu à ce jour pour une seule personne. En Thaïlande, les peines de prison sont plafonnées à 50 ans, mais ces chefs d’inculpation cumulés, auxquels viennent s’ajouter les charges retenues au titre de la Loi sur la cybercriminalité et de l’article 116 du Code pénal, pourraient aboutir à une peine de prison d’une durée totale de 171 ans. De très nombreuses personnes (y compris des personnalités politiques, des musiciens, des poètes, des blogueurs et des rédacteurs) ont été arrêtées ou incarcérées pour s’être exprimées pacifiquement en ligne – en particulier, sur Facebook, pour avoir mis à jour leur statut public, cliqué sur « J’aime », partagé des posts ou envoyé des messages privés.
Nombre d’entre elles ont été jugées de façon inique par des tribunaux militaires pour des accusations de cybercriminalité, de sédition et d’atteinte à la monarchie ; certaines ont été déclarées coupables et condamnées à plusieurs dizaines d’années de réclusion. Les autorités continuent à s’appuyer très largement sur l’article 112 du Code pénal thaïlandais (la Loi sur le crime de lèse-majesté) pour punir l’expression pacifique de diverses opinions. Aux termes de l’article 112, quiconque « tient des propos diffamatoires, insultants ou menaçants à l’égard du roi, de la reine, du prince héritier ou du régent » est passible d’une peine de trois à 15 ans d’emprisonnement.
Cet article a été utilisé conjointement avec la Loi de 2007 sur la cybercriminalité, qui prévoit une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement et une amende de 100 000 bahts (2 876 dollars environ) pour toute personne publiant en ligne des documents portant atteinte à la sécurité de la Thaïlande en vertu du Code pénal. En décembre 2016, des modifications de cette loi, déjà régulièrement utilisée pour poursuivre et punir les personnes qui s’expriment pacifiquement en ligne, ont été adoptées (voir l’AU 225/16).
Ces modifications permettent toujours de poursuivre en justice les internautes qui exercent pacifiquement des droits garantis par des instruments internationaux relatifs aux droits humains auxquels la Thaïlande est partie, ainsi que les hébergeurs des sites sur lesquels ces droits sont exercés, et elles ne remédient pas à la non-conformité de cette loi aux obligations découlant de ces instruments, notamment en matière de droit à la vie privée.