Sonia Dahmani, 59 ans, est une avocate et une personnalité médiatique tunisienne qui est fréquemment apparue dans des émissions de radio et de télévision, telles qu’Émission Impossible sur IFM Radio et Denya Zida sur Carthage+. Elle fait l’objet d’investigations dans le cadre de cinq affaires distinctes pour des propos publics critiques à l’égard des autorités. En novembre 2023, elle a été convoquée par un juge d’instruction à la suite d’une plainte déposée par la Direction générale des prisons, après avoir critiqué les conditions de détention carcérale pendant une émission radio. En janvier 2024, elle a été convoquée dans le cadre d’une autre affaire par un juge d’instruction à la suite d’une plainte déposée par la ministre de la Justice Laila Jaffel, pour avoir critiqué les autorités tunisiennes et déclaré que « mettre des gens derrière les barreaux n’est pas un exploit ».
Le 7 mai 2024, Sonia Dahmani a tenu des propos critiques au sujet de la situation migratoire en Tunisie lors d’une émission télévisée : « De quel pays extraordinaire parle-t-on ? Celui que la moitié des jeunes veulent quitter ? » Le 9 mai, elle a annoncé avoir été convoquée par un juge d’instruction. Elle fait l’objet d’une enquête au titre de l’article 24 du Décret-loi n° 2022-54, qui punit de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 50 000 dinars tunisiens (15 000 euros) quiconque utilise des systèmes de télécommunication en vue de produire, répandre ou diffuser « de fausses nouvelles, de fausses données, des rumeurs », ou des documents faux ou falsifiés ou faussement attribués à autrui dans le but de nuire à autrui, de diffamer, d’inciter à la violence contre autrui, ou de porter préjudice à la sûreté publique ou à la défense nationale ou de semer la terreur parmi la population ou d’inciter au discours de haine.
Les peines sont doublées si l’objet des « fausses nouvelles » est un représentant de l’État. Le 11 mai 2024, des membres des forces de sécurité, cagoulés et en civil, ont fait irruption au siège de l’Ordre national des avocats à Tunis, pour l’interpeller.
Les poursuites intentées contre Sonia Dahmani s’inscrivent dans le contexte d’une répression durcie contre la liberté d’expression. Le 13 mai, les représentants juridiques de deux stations de radio et d’une chaîne de télévision privées – IFM, Diwan FM et Carthage+ – ont été convoqués par les autorités judiciaires pour interrogatoire et, selon leurs avocats, ont été questionnés sur le travail de leurs journalistes et des sujets d’ordre général.
Après l’arrestation de Sonia Dahmani, l’Ordre national des avocats de Tunisie (ONAT) a annoncé une grève le 13 mai pour protester contre l’arrestation arbitraire de leur collègue. Les autorités françaises et l’Union européenne ont déjà fait part de leurs inquiétudes quant à la dernière vague d’arrestations ciblant des membres d’organisations de la société civile et des journalistes, dont Sonia Dahmani.
Le 22 mai 2024, 11 jours après leur arrestation, le tribunal de première instance de Tunis a condamné Borhen Bsaies et Mourad Zeghidi, tous deux journalistes reconnus, à un an de prison ferme en vertu de l’article 24 du Décret-loi n° 2022-54 pour avoir « utilisé sciemment des systèmes et réseaux d’information et de communication en vue de produire, répandre, diffuser, ou envoyer, ou rédiger de fausses nouvelles, dans le but de porter atteinte aux droits d’autrui ou porter préjudice à la sureté publique ou à la défense nationale ou de semer la terreur parmi la population ». Le 30 juillet, la cour d’appel de Tunis a réduit leur sentence à huit mois de prison.
Depuis la promulgation du Décret-loi n° 54 le 13 septembre 2022, les autorités s’en prennent de plus en plus à ceux qui exercent leur droit à la liberté d’expression. Au moins 22 personnes, dont des avocat·e·s, des journalistes, des blogueurs et blogueuses et des militant·e·s politiques, ont été convoquées pour un interrogatoire, poursuivies en justice ou condamnées en lien avec des commentaires exprimés publiquement et considérés comme critiques à l’égard des autorités.
Les charges pesant sur au moins 13 d’entre elles relevaient du Décret-loi no 2022-54 et, dans la plupart des cas, les poursuites résultaient d’une plainte du gouvernement. Ce Décret-loi va à l’encontre des traités relatifs aux droits humains, notamment des dispositions de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auxquels la Tunisie est partie.
L’article 9 de la Charte et l’article 19 du PIDCP garantissent le droit à la liberté d’expression. Les restrictions imposées aux droits sur la base de termes ambigus et très généraux tels que « fausses nouvelles » et les dispositions répressives de la loi relative à la cybercriminalité ne répondent pas aux exigences de légalité, de nécessité et de proportionnalité.
Depuis qu’il s’est emparé du pouvoir le 25 juillet 2021, le président Kaïs Saïed a invoqué des pouvoirs d’exception, affirmant qu’ils lui sont conférés par la Constitution tunisienne de 2014.
Depuis février 2023, la situation des droits humains en Tunisie se dégrade rapidement : des figures de l’opposition, des dissident·e·s, des personnes perçues comme des ennemis du président et des détracteurs du gouvernement sont pris pour cibles et harcelés. La répression visant l’opposition et les détracteurs constitue une attaque flagrante contre l’état de droit et les droits fondamentaux, notamment les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique en Tunisie, garantis par les articles 19, 21 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et par les articles 9, 10 et 11 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.