Ahmed Kabir Kishore, 46 ans, célèbre caricaturiste bangladais, a dit à Amnesty International qu’il avait subi de graves sévices du 2 au 5 mai 2020, alors qu’il était détenu par un ou plusieurs services de sécurité de l’État avant l’enregistrement officiel de son arrestation. Le 5 mai 2020, la troisième unité du Bataillon d’action rapide (RAB-3) a enregistré officiellement son arrestation au titre de la très sévère Loi sur la sécurité numérique, en même temps que celle de l’écrivain bangladais Mushtaq Ahmed, 53 ans, pour avoir publié sur Facebook des caricatures et des posts critiquant la réponse du gouvernement bangladais à la pandémie de COVID-19 et les dirigeants du parti au pouvoir. Les deux hommes étaient en détention provisoire depuis neuf mois. Depuis mai 2020, ils se sont vu refuser une libération sous caution à au moins six reprises.
Mushtaq Ahmed est mort en prison le 25 février 2021. Des manifestations ont éclaté à Dacca après sa mort, les protestataires réclamant que justice lui soit rendue, qu’Ahmed Kabir Kishore soit libéré et que la Loi sur la sécurité numérique soit abrogée. La Haute Cour du Bangladesh a accordé le 3 mars 2021 une libération sous caution à Ahmed Kabir Kishore pour une durée de six mois seulement. Les autorités ont libéré Ahmed Kabir Kishore une semaine après la mort de Mushtaq Ahmed.
Le caricaturiste a dit que lorsque Mushtaq Ahmed et lui avaient été amenés au poste de la RAB-3 de Khilgaon, à Dacca, il avait constaté que Mushtaq Ahmed avait lui aussi été torturé alors qu’il était détenu par les services de sécurité de l’État. Le porte-parole du Bataillon d’action rapide, le lieutenant-colonel Ashiq Billah, a rejeté ces allégations, disant à un média local qu’« une personne mécontente [pouvait] dire tout et n’importe quoi. »
La haute-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a appelé le gouvernement du Bangladesh à veiller à ce que l’enquête sur la mort en détention de Mushtaq Ahmed soit menée sans délai et de manière transparente et indépendente.
Ahmed Kabir Kishore est un patient diabétique insulino-dépendant. Il a souffert d’une hyperglycémie sévère, avec des taux de sucre dans le sang compris entre 18 et 30 millimoles par litre, pendant son incarcération. Les actes de torture qu’on lui a infligés l’ont fait saigner de l’oreille droite et il a perdu l’audition de cette oreille. De plus, il a depuis lors de fortes douleurs au genou et à la cheville gauches et a maintenant du mal à marcher. Il a besoin de toute urgence de soins médicaux adaptés.
La mort en prison de Mushtaq Ahmed est « la conséquence de la pratique cruelle des autorités consistant à maintenir des personnes en détention prolongée » a déclaré Amnesty International. Le Comité des droits de l’homme des Nations unies a souligné que « le harcèlement, l’intimidation ou la stigmatisation, y compris l’arrestation, la détention, le jugement ou l’emprisonnement, en raison des opinions que la personne peut professer constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 19. »
Le Comité a également déclaré : « le simple fait que des formes d’expression soient considérées comme insultantes pour une personnalité publique n’est pas suffisant pour justifier une condamnation pénale ». Le Comité a dit s’inquiéter « de lois régissant des questions telles que [...] l’outrage à l’autorité publique, l’offense au drapeau et aux symboles, la diffamation du chef de l’État, et la protection de l’honneur des fonctionnaires et personnalités publiques », ajoutant : « la loi ne doit pas prévoir des peines plus sévères uniquement en raison de l’identité de la personne qui peut avoir été visée. Les États parties ne doivent pas interdire la critique à l’égard d’institutions telles que l’armée ou l’administration. »
Dans le cadre de la même affaire, neuf autres personnes sont poursuivies pour publication de « fausses informations » et « propagande contre la guerre de libération, l’esprit de la guerre de libération, le père de la nation », susceptibles de « porter atteinte à l’ordre public » en « soutenant ou organisant le crime » au titre des articles 21, 25, 31 et 35 de la Loi sur la sécurité numérique. Si elles sont déclarées coupables, elles encourent des peines allant jusqu’à 10 ans d’emprisonnement, assorties d’amendes allant jusqu’à 10 millions de takas bangladais.
Gower Rizvi, conseiller aux affaires internationales de la Première ministre du Bangladesh, Sheikh Hasina, a déclaré lors d’une interview à la Deutsche Welle le 11 février 2021 que la Loi sur la sécurité numérique était susceptible d’être utilisée de manière abusive. « Malheureusement, nous savons à présent que certaines des formulations employées sont très floues et vagues, ce qui laisse la porte ouverte à des abus », a-t-il déclaré.
Amnesty International a appelé à maintes reprises le gouvernement bangladais à abroger la Loi sur la sécurité numérique, à moins qu’elle ne soit modifiée pour être mise en conformité avec le droit international relatif aux droits humains, notamment avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.