Les cinq hommes concernés étaient arrivés en Thaïlande en mars 2014 après avoir fui les persécutions, la discrimination et d’autres violations graves des droits humains dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang, en Chine. Deux d’entre eux étaient des enfants, âgés seulement de 16 ans, au moment des faits. Ils faisaient partie d’un groupe de plus de 300 hommes, femmes, enfants et personnes âgées qui ont été arrêtés lors de deux opérations ciblant des camps présumés de trafic d’êtres humains, à la mi-mars 2024. Des agents ont transféré ces personnes dans des centres de détention des services de l’immigration en vertu de la Loi thaïlandaise relative à l’immigration, qui permet de détenir pour une durée indéterminée des personnes se trouvant en Thaïlande sans autorisation officielle.
En juin 2015, les autorités avaient permis à 172 femmes et enfants du groupe de partir en Turquie. En juillet 2015, la Thaïlande a enfreint ses obligations nationales et internationales relatives aux droits humains, y compris le principe de « non-refoulement », en facilitant le retour forcé de 109 autres hommes, femmes et enfants ouïghours en Chine, après que l’administration thaïlandaise les a remis à des agents chinois en juillet de cette même année. Ces personnes ont été forcées à embarquer sur un vol affrété à destination la Chine par des agents armés des forces de sécurité chinoises le 9 juillet 2015.
À l’époque, Amnesty International avait dénoncé les expulsions comme « un acte ignoble et illégal au regard du droit international ». En 2020, les cinq hommes se sont évadés des services de l’immigration de Mukdahan, dans le nord-est de la Thaïlande. Ils ont invoqué des conditions de détention oppressantes, notamment la surpopulation et l’humidité, pour justifier leur évasion. Les autorités les ont condamnés à des peines d’emprisonnement allant jusqu’en 2029 pour s’être soustraits à la détention. À la lumière de l’expulsion de 40 Ouïghours fin février (voir plus bas), on craint que les autorités ne leur accordent une grâce afin d’accélérer leur renvoi vers la Chine.
Avant leur emprisonnement, ils avaient été, aux côtés de dizaines d’autres Ouïghour·e·s, détenus illégalement pendant des années sans inculpation ni jugement en vertu de la Loi relative à l’immigration, qui ne fixe pas de durée de détention maximale. Ils ont été détenus sans possibilité de faire évaluer leurs besoins de protection et sans que leur détention soit réexaminée par un mécanisme judiciaire pour déterminer la nécessité et la proportionnalité de leur détention. Leur détention pour une durée indéfinie dans les centres de détention des services de l’immigration s’apparente à une détention arbitraire, pratique interdite par le droit international.
En outre, Amnesty International a confirmé les mauvaises conditions dans les centres de détention, notamment l’accès inconsistant et insuffisant aux soins de santé, ce qui pourrait s’apparenter à un traitement ou une peine cruels, inhumains ou dégradants. Cinq Ouïghour·e·s détenus, dont un enfant de trois ans et un nouveau-né, sont morts en détention.
En janvier 2025, des représentant·e·s du gouvernement thaïlandais avaient rendu visite à des réfugié·e·s ouïghours au centre des services de l’immigration de Suan Phlu et auraient fait pression sur eux pour qu’ils remplissent les documents par lesquels ils acceptaient l’expulsion vers la Chine. Les autorités ont ensuite privé ces hommes d’accès aux représentant·e·s du HCR, qu’ils avaient demandé à rencontrer pour que leur demande d’asile soit traitée. Des spécialistes des droits humains des Nations unies, des États et des membres de la société civile ont appelé le gouvernement thaïlandais à respecter ses obligations de ne pas se livrer à un renvoi forcé.
Cette pratique est également interdite par l’article 13 de la Loi thaïlandaise de 2022 relative à la prévention et à la répression de la torture et des disparitions forcées, qui dispose : « Aucune organisation gouvernementale ni aucun représentant de l’État n’expulsera, ne refoulera, ni n’extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou à une disparition forcée. » Malheureusement, le 27 février 2025 au petit matin, les autorités thaïlandaises ont transporté un groupe de 40 Ouïghours du centre de détention des services de l’immigration de Suan Phlu vers l’aéroport Don Mueang, où ils auraient embarqué sur un vol direct à destination d’Urumqi, en Chine.
Amnesty International s’est dit inquiète quant au fait que la nouvelle réglementation en vigueur en Thaïlande depuis le 22 septembre 2023, qui établit un mécanisme national de sélection des demandeurs et demandeuses d’asile sollicitant une protection face à des persécutions, est discriminatoire. Outre le fait d’écarter les travailleuses et travailleurs migrants originaires du Myanmar, du Laos, du Viêt-Nam et du Cambodge, elle permet également aux autorités de refuser cette protection pour des raisons de « sécurité nationale » sans avoir à préciser les motifs de leur décision, ce qui pourrait aboutir à l’exclusion de certains groupes de personnes réfugiées ou demandeuses d’asile, dont les Ouïghour·e·s, les Rohingyas et les Nord-Coréen·ne·s.
Amnesty International a recueilli des informations sur les atteintes massives et systématiques commises par le gouvernement chinois à l’encontre des Ouïghour·e·s et d’autres communautés majoritairement musulmanes vivant dans la région autonome du Xinjiang, notamment dans les camps d’internement, où plus d’un million de personnes ont été détenues arbitrairement. Les Ouïghour·e·s ont été soumis à de fortes restrictions de la liberté d’expression, de réunion et de religion, des détentions arbitraires, des actes de torture et d’autres mauvais traitements, des procès inéquitables, des exécutions, des exécutions extrajudiciaires et des violations des droits économiques, culturels et sociaux.
Amnesty International a conclu que le gouvernement chinois avait commis au moins les crimes contre l’humanité que sont l’emprisonnement, la torture et la persécution à l’encontre des Ouïghour·e·s, des Kazakh·e·s et d’autres groupes ethniques à majorité musulmane.