Écrire Une communauté autochtone expulsée de force

Les autorités kenyanes sont en train d’expulser de force le peuple autochtone sengwer de son foyer ancestral, la forêt Embobut. Les expulsions ont été menées par les autorités dans le cadre d’un projet de conservation financé par l’Union européenne, en violation de la Constitution, d’une injonction de la Haute Cour et du droit international relatif aux droits humains.

Depuis le 29 décembre 2017, le Service kenyan des forêts, fonctionnant sous l’autorité du ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles, expulse de force des membres du peuple autochtone sengwer dans la forêt Embobut (complexe de Cherengani Hills, montagnes de l’ouest du Kenya). Ces expulsions forcées ont lieu malgré une injonction de la Haute Cour interdisant l’expulsion ou l’arrestation de résidents sengwers dans cette forêt. Selon le droit international, l’Union africaine, les normes en matières de droits humains et la Constitution du Kenya, ces expulsions forcées violent les droits humains des Sengwers, notamment leur droit au logement et à leurs terres ancestrales.

Selon des membres de ce peuple touchés et des médias nationaux et internationaux, environ 100 gardes armés du Service kenyan des forêts sont présents dans la forêt. Ils auraient brûlé au moins 50 huttes et tiré des coups de feu en l’air. Le 9 janvier, des gardes auraient tiré, sans le toucher, sur Paul Kiptoga, une personne âgée, alors qu’il se rendait à une rencontre avec des représentants du gouvernement pour parler des expulsions. Jusqu’à présent, ce peuple n’a reçu qu’un soutien limité de la part des médias, de la société civile et de la justice, car ces expulsions forcées ont lieu pendant la période des vacances, et n’attirent donc pas l’attention de la communauté internationale.

La forêt Embobut se trouve dans une zone incluse dans un programme de conservation financé par le Fonds européen de développement de l’Union européenne (UE). L’UE a le devoir de réduire les risques de violations des droits humains en appliquant des procédures de diligence solides en matière de droits humains.

Le 10 janvier, les dirigeants du peuple sengwer et Amnesty International ont obtenu un engagement public du gouvernement kenyan de mener une enquête indépendante sur ces expulsions forcées et d’instaurer un dialogue incluant toutes les parties. Cependant, malgré un engagement des dirigeants sengwers de conserver le patrimoine forestier, le gouvernement a refusé d’annoncer la fin des expulsions forcées et du harcèlement par le Service kenyan des forêts. Ce peuple est toujours en danger.

Embobut est un quartier administratif de la circonscription de Marakwet East, dans le comté d’Elgeyo-Marakwet, au Kenya. La forêt Embobut est le foyer du peuple sengwer, un peuple autochtone vivant dans cette forêt depuis des siècles. Les Sengwers sont des chasseurs-cueilleurs et des apiculteurs. Ils demandent au gouvernement de reconnaître leurs droits fonciers à Embobut et de travailler avec eux pour développer un protocole relatif à la conservation de la forêt. Cette forêt était le foyer de beaucoup d’autres peuples quand les expulsions de janvier 2014 ont commencé, mais aujourd’hui, la plupart d’entre eux sont partis, à l’exception des Sengwers.

En mai 2017, la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a reconnu le gouvernement kenyan coupable d’avoir expulsé illégalement le peuple autochtone ogiek de la forêt Mau. La Cour a estimé que le gouvernement avait cité, à tort, la conservation comme une justification de l’expulsion, car les discussions n’ont pas prouvé que les Ogieks étaient responsables de la déforestation. Beaucoup d’experts considèrent le cas de Mau comme un précédent majeur pour les droits des peuples des forêts au Kenya et ailleurs.

Depuis janvier 2014, Amnesty International a reçu des informations des Sengwers et d’autres sources sur au moins 13 actions visant à les expulser de force, et a estimé que ces expulsions n’étaient pas conformes aux normes internationales en matière de droits humains. En avril 2017, des gardes forestiers ont tiré sur Elias Kimaiyo, dirigeant local et militant, et l’ont frappé alors qu’il filmait des expulsions. Sa caméra et son ordinateur ont été emmenés. À ce jour, la police n’a pris aucune mesure contre les gardes forestiers responsables, et l’équipement d’Elias Kimaiyo ne lui a toujours pas été rendu. Malgré plusieurs demandes, Amnesty International n’a pas reçu la permission de visiter la forêt et d’interroger de manière indépendante les Sengwers vivant là. Les expulsions forcées, les arrestations et la destruction des foyers et des biens des Sengwers ont des conséquences terribles sur ce peuple ; beaucoup de ses membres se retrouvent à vivre dans le dénuement.

Le gouvernement affirme que le peuple a accepté de quitter la forêt, mais on ne lui a pas donné le choix. Un programme d’indemnisation financière, mis en place seulement après le début des expulsions forcées, s’est enlisé dans la corruption et exclut beaucoup des résidents légitimes de la forêt.

Le Fonds européen de développement finance le programme de protection des châteaux d’eau et d’atténuation et d’adaptation au changement climatique, un programme de conservation visant à préserver les services écosystémiques du mont Elgon et de Cherangani Hills. Le gouvernement accuse les Sengwers de dégrader la forêt Embobut et procède à des expulsions depuis janvier 2014, soit-disant à des fins de conservation. Les donateurs gouvernementaux, comme l’UE, ont le devoir de réduire les risques de violations des droits humains en appliquant régulièrement des procédures de diligence solides en matière de droits humains. Le soutien institutionnel que l’UE apporte par son financement de ce programme risque d’aider le Service kenyan des forêts, et ainsi le ministère de l’Environnement et des Ressources naturelles, à perpétrer leurs violations des droits humains dans la forêt Embobut.

Le fait qu’un gouvernement emprunteur ne respecte pas ses obligations en matière de droits humains ne décharge pas les donateurs internationaux de leur responsabilité en ce qui concerne les impacts négatifs sur les droits humains des projets ou politiques qu’ils soutiennent. Les donateurs et les institutions financières finançant un projet doivent veiller à faire preuve de diligence solide en matière de droits humains, afin d’identifier et d’empêcher ou atténuer tous risques pour les droits humains qui pourraient résulter du projet.

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