Depuis l’annexion de la Crimée par la Russie en mars 2014 et le début des combats entre forces ukrainiennes et groupes armés soutenus par la Russie dans le Donbass (est de l’Ukraine) le mois suivant, plusieurs personnes ont été condamnées en Russie pour incitation à la haine et à l’inimitié sur Internet en relation avec des commentaires dénonçant la stratégie russe face à l’Ukraine et l’annexion de la Crimée. Le nombre d’internautes poursuivis pour l’expression en ligne de leurs opinions critiques concernant la politique russe actuelle ne cesse de croître. L’article 280 (« appels publics à se livrer à des activités extrémistes ») et l’article 282 (« incitation publique à la haine ou l’inimitié, et dénigrement de la dignité humaine ») du Code pénal russe sont de plus en plus souvent invoqués pour réduire au silence l’opposition et, en particulier, les personnes qui dénoncent la ligne de conduite officielle à l’égard de l’Ukraine.
Le 12 décembre 2014, l’appartement d’Ekaterina Vologjeninova a été perquisitionné par des agents de la force publique, et elle a été conduite au poste de police local pour y être interrogée. Elle a alors appris qu’elle faisait l’objet de poursuites pénales en vertu de l’article 282 (première partie) du Code pénal russe, en raison de ses publications sur les réseaux sociaux. L’enquête a conclu que l’intention d’Ekaterina Vologjeninova, en critiquant les politiques du gouvernement sur Internet, était d’inciter à la haine contre le gouvernement russe et contre les Russes combattant dans l’est de l’Ukraine.
Ekaterina Vologjeninova a déclaré à Amnesty International que son compte sur le réseau social russe VKontakte (VK) n’était pas public et n’était visible que par ses amis. Elle a parcouru les médias ukrainiens parce qu’elle était à la recherche d’informations différentes de celles relayées par la télévision et les autres médias contrôlés par l’État en Russie, et a partagé des articles ukrainiens sur sa page personnelle. Selon l’enquête, les mentions « j’aime » ajoutées par d’autres internautes sous certaines de ses publications ont montré qu’elle avait incité à la haine par le biais de celles-ci.
Fin septembre 2015, l’affaire a été transmise aux services du procureur au tribunal de Jeleznodorojny, à Ekaterinbourg. Le procès s’est ouvert le 27 octobre et, le 20 février 2016, elle a été reconnue coupable d’« incitation à la haine et à l’inimitié ».
Parmi les publications relayées par Ekaterina Vologjeninova, sur lesquelles il a été demandé à un expert de se prononcer, figurait un poème intitulé « Confession d’un Russe d’Ukraine » condamnant la manière dont la Russie a « trahi » l’Ukraine en « la poignardant dans le dos », et déclarant que les personnes d’origine russe vivant en Ukraine défendront celle-ci contre l’agression russe. Il y avait aussi deux images, dont une représentant un homme – ressemblant vaguement au président Vladimir Poutine – avec un couteau à la main, se tenant au-dessus d’un carte du Donbass. Sa main est retenue par une autre main et on peut lire « Arrêtons cet être nuisible ! » sous l’image. Une autre montre une jeune femme vêtue d’une tenue traditionnelle ukrainienne et armée d’un fusil d’assaut, accompagnée de la légende suivante : « Je suis Banderivka. Je suis ukrainienne. Mort aux occupants venus de Moscou. » Le style de ces dessins est similaire à celui des affiches diffusées à travers l’Union soviétique durant la Seconde Guerre mondiale et demandant aux citoyens de défendre leur pays contre les occupants.
Dans son Observation générale n° 34 sur la liberté d’expression, le Comité des droits de l’homme des Nations unies souligne que ce droit « s’étend même à l’expression qui peut être considérée comme profondément offensante ». En tout état de cause, l’imposition de sanctions pénales pour des propos tenus en privé sur les médias sociaux serait excessive et disproportionnée au regard des normes internationales relatives aux droits humains, et bafouerait le droit à la liberté d’expression.