Écrire Un condamné à mort souffrirait d’une déficience mentale

Ernest Lee Johnson, 55 ans, doit être exécuté le 3 novembre prochain dans l’État du Missouri, aux États-Unis. Cet homme a été déclaré coupable de trois meurtres commis lors d’un vol en 1994. Plusieurs éléments semblent indiquer qu’il souffre d’une déficience mentale, ce qui rendrait son exécution inconstitutionnelle.
Tôt dans la matinée du 13 février 1994, un policier a découvert les corps de Mary Bratcher, 46 ans, Fred Jones, 58 ans, et Mabel Scruggs, 57 ans, dans la supérette où ils travaillaient à Columbia, dans le Missouri. Tous trois ont succombé à des blessures à la tête. Ernest Lee Johnson, client régulier, a été arrêté et inculpé des meurtres. Il a été jugé en mai 1995, déclaré coupable et condamné à mort.
En 1998, la Cour suprême du Missouri a ordonné un nouveau procès car l’avocat de la défense avait omis de présenter le témoignage d’un psychiatre ayant examiné Ernest Lee Johnson. La Cour a ainsi déclaré avoir « la nette impression » que ce témoignage « aurait influé sur les délibérations des jurés », qui se seraient peut-être alors prononcés en faveur de la réclusion à perpétuité.
En 1999, l’accusé a néanmoins été une nouvelle fois condamné à mort. En 2002, la Cour suprême des États-Unis a rendu un arrêt selon lequel l’exécution de personnes souffrant d’une déficience mentale (appelée auparavant « retard mental ») est inconstitutionnelle. En 2003, la Cour suprême du Missouri a une seconde fois ordonné un nouveau procès, au motif que les éléments faisant état d’une déficience mentale chez l’accusé n’avaient pas été présentés de façon adéquate. Ernest Lee Johnson a passé plusieurs tests de QI, dont deux qui ont permis de conclure qu’il présentait un QI de 77 à l’âge de huit ans et de 63 l’âge de 12 ans. Rencontrant des difficultés à l’école, il a été placé dans des classes spéciales. Par ailleurs, on a diagnostiqué chez cet homme, qui a reçu deux graves blessures à la tête quand il était enfant, un syndrome d’alcoolisation fœtale associé à un fonctionnement intellectuel déficient.
En 2006, Ernest Lee Johnson a été condamné à mort pour la troisième fois, les jurés ayant estimé ne pas avoir la preuve de sa déficience mentale supposée. L’avocat de la défense avait avancé qu’il revenait à l’État de prouver que son client ne souffrait pas d’un tel handicap. La défense a présenté deux spécialistes qui ont affirmé que l’accusé présentait une déficience mentale, l’un d’eux évaluant son QI à 67. Tous deux ont conclu que ses capacités d’adaptation étaient limitées dans plusieurs domaines et que ce handicap était apparu avant l’âge de 18 ans. Un psychométricien travaillant pour l’expert présenté par l’accusation a lui aussi évalué le QI de l’accusé à 67, mais l’expert a estimé qu’Ernest Lee Johnson simulait. Le principal expert de la défense a exprimé son désaccord, affirmant avoir vérifié si c’était le cas. Le procureur a déclaré au jury : « Déterminer s’il est plutôt probable que cet homme souffre d’un retard mental est une insulte, une insulte aux victimes. » La Cour suprême du Missouri a confirmé la peine de mort en 2008, jugeant qu’il fallait faire preuve de « déférence envers le jury ». Cependant, trois des sept juges ont exprimé leur désaccord, arguant que « demander à l’accusé de prouver sa déficience mentale [laissait] penser que la décision – de le condamner à la peine de mort – [était] fantasque » et que les éléments contradictoires du dossier « [indiquaient] que le résultat – la vie ou la mort – [dépendait] de la partie sur laquelle [reposait] la charge de la preuve. »

Le 20 juin 2002, la Cour suprême des États-Unis a rendu un arrêt dans l’affaire Atkins c. État de Virginie, selon lequel l’exécution de personnes souffrant d’une déficience mentale va à l’opposé d’un consensus national et est inconstitutionnelle. Entre autres, la Cour a souligné la « cohérence de l’orientation des changements » apportés à ce sujet dans la législation des États, et fait remarquer que rien qu’en 2000 et 2001, six États, dont le Missouri, avaient « suivi le mouvement » en promulguant des lois contre le recours à la peine de mort dans ce genre de situation. Dans cet arrêt, la Cour a mis en avant des définitions cliniques désignant le « retard mental » comme un handicap se manifestant avant l’âge de 18 ans, caractérisé par un fonctionnement intellectuel nettement inférieur à la moyenne associé à des difficultés dans au moins deux domaines du comportement adaptatif, mais elle a laissé aux États le soin de trouver « des moyens appropriés d’appliquer cette restriction constitutionnelle », entraînant ainsi des disparités quant à la mise en œuvre de ce principe à travers le pays.
À l’issue du troisième procès d’Ernest Lee Johnson en 2003, le juge a expliqué aux jurés que s’ils déterminaient, en se fondant sur « des preuves suffisantes », que l’accusé présentait une déficience mentale, ils devraient se prononcer en faveur de la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle. La défense a contesté ces propos, arguant qu’il aurait dû revenir à l’accusation de prouver que l’accusé ne souffrait pas d’un tel handicap.
Outre les éléments suggérant une déficience mentale, des médecins ont diagnostiqué chez Ernest Lee Johnson un syndrome d’alcoolisation fœtale, la plus grave pathologie parmi les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale. Selon l’avocat de la défense, la mère d’Ernest Lee Johnson a consommé de l’alcool et des drogues dès l’âge de 10 ans, et continuait à ingérer de grandes quantités de gin et de whisky ainsi que des sédatifs pendant sa grossesse, quand elle avait 18 ans. De plus, non seulement elle se prostituait pour gagner l’argent lui permettant de s’acheter ses drogues mais elle prostituait aussi son fils, en le récompensant avec de l’alcool et des stupéfiants, l’entraînant ainsi dans la spirale de la toxicomanie.
Vers 2008, des médecins ont diagnostiqué un méningiome (tumeur cérébrale) chez Ernest Lee Johnson. Le 28 août 2008, celui-ci a subi une opération chirurgicale pour se faire enlever une partie de la tumeur, qui ne pouvait pas être totalement retirée. Depuis, il souffre de crises d’épilepsie et s’est vu prescrire un traitement après sa condamnation à mort. Son avocat a déposé un recours devant un tribunal fédéral en vue d’obtenir la suspension de l’exécution, arguant que l’injection létale pourrait provoquer de violentes crises chez cet homme, ce qui rendrait l’exécution inconstitutionnelle. Dans une déclaration en date du 22 octobre 2015 accompagnant cette requête, un anesthésiologiste a indiqué : « Au moment de l’injection létale, M. Johnson sera attaché à un brancard. S’il a une crise, ce qui est une réelle possibilité, il luttera violemment pour se défaire de ses liens et risque d’uriner. En raison de la tumeur cérébrale de M. Johnson et de la cicatrice laissée par l’opération, cet homme risque fortement de souffrir de la crise provoquée par l’injection de pentobarbital. Les convulsions comme celles que M. Johnson risque d’avoir sont très douloureuses. Le pentobarbital appartient à la famille des barbituriques. [...] Ce type de produits est connu pour accentuer la douleur. D’un point de vue médical, je pense que M. Johnson risque fortement d’avoir une grave crise résultant directement du protocole d’injection létale du Missouri et de ses troubles neurologiques permanents et invalidants. »
La Cour suprême des États-Unis a abrogé les lois américaines relatives à la peine de mort en 1972, avant de valider des lois révisées à ce sujet en 1976. Sur les 1 418 exécutions auxquelles ont procédé les États-Unis depuis la reprise de cette pratique, dont 24 depuis le début de l’année, 86 ont eu lieu au Missouri, dont six depuis le début de l’année. Amnesty International s’oppose catégoriquement à la peine de mort, en toutes circonstances. À l’heure actuelle, quelque 140 pays sont abolitionnistes en droit ou en pratique.

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