Lors d’une audience devant la haute cour de Peshawar le 13 janvier 2021, la famille Khattak a fait valoir qu’en tant que civil, Idris doit être jugé par un tribunal civil et non pas par un tribunal militaire. Ce recours a été rejeté dans une décision de justice prononcée le 28 janvier 2021. De plus amples informations sur les charges retenues contre Idris Khattak ont été révélées dans le jugement rendu public le 30 janvier 2021. Il a été accusé de plusieurs faits d’espionnage et d’autres comportements « préjudiciables à la sûreté ou aux intérêts de l’État » en vertu de la section 3 de la Loi relative aux secrets d’État, ainsi que de la section 59 de la Loi de 1952 sur l’armée - qui donne compétence aux tribunaux militaires afin de juger des civils accusés de certaines infractions à la Loi relative aux secrets d’État.
L’« infraction » en question semble être une rencontre avec Michael Semple en juillet 2009 - soit plus de 10 ans avant la disparition forcée d’Idris Khattak. Dans le jugement, Michael Semple est qualifié d’agent du MI6. À l’époque de ces rencontres, Micheal Semple était membre du Centre Carr pour les droits humains de l’université de Harvard, ainsi qu’un haut représentant des Nations unies et de l’Union européenne en Afghanistan depuis 20 ans. Il a été expulsé par l’Afghanistan pour « activités non autorisées en 2008 ». Michael Semple est actuellement professeur à Queen’s University à Belfast.
La décision de justice ne mentionne pas la disparition forcée d’Idris Khattak, ni l’obligation pour les autorités de rendre des comptes pour l’avoir tenu séparé de sa famille jusqu’à présent, et pour avoir maintenu ses proches dans l’incertitude la plus totale, en ne leur confirmant même pas s’il était vivant.
Sous l’effet de fortes pressions, les autorités ont permis à la fille d’Idris Khattak, Talia, de voir son père pendant 20 minutes le 7 octobre 2020. Lors de cette rencontre, qui était supervisée, Talia n’a pas pu parler à son père dans leur langue natale, le pachto (dans laquelle ils conversent d’habitude) et n’a pas pu lui poser de questions sur l’affaire. Idris Khattak a dit à sa fille que les charges retenues contre lui étaient « bidon ».
Il n’y a pas eu d’autres échanges depuis lors entre lui et sa famille, ni avec son avocat, et il est maintenu en détention de manière arbitraire. Même s’il est établi qu’il est en vie, on ignore où il se trouve actuellement. En vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Pakistan est partie, les civil·e·s ne doivent pas être jugés par des tribunaux militaires.
Idris Khattak a travaillé comme consultant pour Amnesty International et d’autres ONG internationales de défense des droits humains. Pendant des années, cet homme a recueilli des informations sur des violations des droits humains et sur des crises humanitaires dans la province de Khyber Pakhtunkhwa et dans les anciennes zones tribales sous administration fédérale.
Il rentrait d’Islamabad lorsque sa voiture de location a été interceptée près de l’échangeur de Swabi, dans la province de Khyber Pakhtunkhwa. La seule autre personne qui se trouvait dans le véhicule était le chauffeur, avec lequel Idris Khattak avait déjà effectué de nombreux trajets. Le chauffeur a également été emmené avec lui le 13 novembre 2019. La famille d’Idris Khattak n’a appris sa disparition qu’une fois que son chauffeur a été relâché, le 15 novembre 2019 dans la soirée .
Le 16 juin 2020 dans la nuit, le ministère de la Défense a enfin reconnu qu’Idris Khattak se trouvait en détention sous sa responsabilité, et cela a été confirmé lors d’une audience organisée par l’Équipe d’enquête conjointe le 17 juin 2020.
Au Pakistan, la disparition forcée sert à museler la contestation et les critiques qui s’opposent aux politiques militaires. Les personnes visées collectivement ou individuellement par les disparitions forcées sont notamment des membres des groupes ethniques sindhi, baloutche et pachtoune et de la communauté chiite, des militant·e·s politiques, des défenseur·e·s des droits humains, des membres et sympathisant·e·s de groupes religieux et nationalistes, ainsi que des membres supposés de groupes armés ou encore d’organisations religieuses ou politiques interdites au Pakistan.
Le gouvernement actuel, dirigé par Imran Khan, a promis d’ériger en infraction les disparitions forcées, mais aucun projet de loi en ce sens n’a même été présenté au Parlement. Shireen Mazari, ministre des Droits humains, a également déclaré que le gouvernement voulait signer la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Cependant, aucun progrès n’a été enregistré à cet égard. La pratique de la disparition forcée perdure en toute impunité dans le pays.