Le 5 décembre 2023, des agents ont arrêté arbitrairement Sharifeh Mohammadi à son domicile à Rasht et ont saisi ses appareils électroniques et d’autres affaires personnelles avant de l’emmener dans un centre de détention du ministère du Renseignement situé dans la même ville. Sur place, elle a été soumise à de multiples interrogatoires les yeux bandés, sans accès à un avocat et privée de contact avec ses proches. Elle a été interrogée au sujet de son militantisme en faveur des droits fondamentaux, en particulier sur son opposition à la peine de mort et son soutien à des personnes détenues pour des motifs politiques.
Au bout de quelques jours, elle a été placée à l’isolement dans la prison de Lakan, où les interrogatoires concernant son militantisme ont continué. Le 28 décembre 2023, après son transfert soudain dans un centre de détention du ministère du Renseignement à Sanandaj, elle a encore été interrogée de façon répétée et, selon une source bien informée, des agents l’ont à nouveau soumise à des actes de torture et d’autres mauvais traitements, notamment en la frappant plusieurs fois au visage. Des agents ont tenté de lui faire « avouer » de force qu’elle avait des liens avec le Komala, un groupe d’opposition kurde interdit basé au Kurdistan irakien, ce qu’elle a nié à maintes reprises.
À la fin du mois de janvier 2024, lorsqu’elle a été transférée à l’isolement dans la prison de Sanandaj, elle a déposé une plainte pour les traitements subis dans le centre de détention du ministère du Renseignement, mais aucune enquête n’a été menée. Quatre semaines après, des représentants du parquet ont exercé des pressions sur elle pour qu’elle retire sa plainte. À ce moment-là, les traces de coups visibles sur son visage avaient disparu et ils lui ont dit que, si elle voulait qu’une enquête ait lieu, elle serait maintenue en détention à la prison de Sanandaj au lieu d’être ramenée à celle de Lakan, plus proche de sa famille. Fin février, après avoir retiré sa plainte sous la pression, elle a été reconduite à la prison de Lakan, où elle demeure détenue. Jusqu’à son transfert dans l’aile générale de cette prison fin mars, elle n’a été autorisée qu’à passer quelques appels de courte durée à ses proches.
Le 11 juin 2024, après avoir passé plusieurs mois à suivre la situation de Sharifeh Mohammadi, son mari, Sirous Fattahi, a été arrêté. Il a été libéré sous caution de la prison de Lakan le 20 juin 2024. Les autorités ont désormais ouvert deux enquêtes contre lui – l’une devant un tribunal révolutionnaire et l’autre devant une juridiction pénale – pour des accusations fallacieuses liées à sa mobilisation en faveur de la libération de Sharifeh Mohammadi, notamment pour « diffusion de mensonges dans l’intention de perturber l’opinion publique ».
Le procès de Sharifeh Mohammadi devant la première chambre du tribunal révolutionnaire de Rasht a été d’une iniquité flagrante. Son avocat n’a eu que 10 minutes pour présenter sa défense. Le jugement, rendu public le 30 juin 2024 et consulté par Amnesty International, retient des activités pacifiques de défense des droits humains comme « preuves » que Sharifeh Mohammadi a commis des actes « contre les fondements de la République islamique d’Iran ».
Les « preuves » citées étaient son soutien à l’abolition de la peine de mort en Iran, ses documents relatifs aux cas de femmes emprisonnées pour des motifs politiques dans la province du Gilan, le fait qu’elle détenait des informations sur la participation des travailleurs et travailleuses au soulèvement « Femme. Vie. Liberté » qui a eu lieu entre septembre et décembre 2022, et les coordonnées du Comité de coordination pour la création d’organisations de travailleurs trouvées dans ses fichiers électroniques. Le jugement affirme en outre qu’il existe un lien entre le Comité de coordination pour la création d’organisations de travailleurs, dont elle a été membre jusqu’en 2011, et le Komala, un groupe d’opposition kurde interdit basé au Kurdistan irakien.
Le Comité de coordination pour la création d’organisations de travailleurs, qui est toujours actif en tant qu’organisation indépendante, a toujours indiqué être un comité pour la défense des droits des travailleurs, des travailleuses et des syndicats, sans aucun lien avec le Komala.
Au regard du droit international relatif aux droits humains et des normes connexes, les autorités sont tenues de diligenter des enquêtes indépendantes, impartiales et efficaces sur toutes les allégations de torture et d’autres mauvais traitements, même en l’absence de plainte déposée.
Amnesty International a constaté à plusieurs reprises que les autorités chargées des poursuites en Iran ignoraient ou démentaient systématiquement les allégations de torture et d’autres mauvais traitements au lieu d’enquêter sur celles-ci. Elles ne prennent aucune mesure pour protéger les victimes des représailles des services de renseignement et de sécurité et même, dans certains cas, les punissent pour avoir déposé des plaintes, ce qui renforce encore l’impunité. Lorsque les victimes retirent leur plainte à la suite de représailles, les autorités chargées des poursuites classent le dossier et considèrent qu’aucune infraction n’a été commise.
À la suite du soulèvement « Femme. Vie. Liberté », les autorités iraniennes ont renforcé leur recours à la peine capitale dans le but de répandre la peur au sein de la population et de resserrer leur emprise sur le pouvoir. Dans le cadre de cette escalade, la peine de mort est souvent utilisée contre des femmes pour des accusations à caractère politique. La militante de la société civile kurde Pakhshan Azizi a été reconnue coupable en juillet 2024 de « rébellion armée contre l’État » (baghi) et condamnée à mort par un tribunal révolutionnaire uniquement en raison de son militantisme pacifique.
Au moins deux autres femmes, Wrisha Moradi et Nasim Gholami Simiyari, ont également été jugées pour ce chef d’accusation dans des affaires distinctes. En 2023, les autorités ont exécuté au moins 853 personnes, et le recours à la peine de mort a eu un impact disproportionné sur la minorité ethnique baloutche persécutée en Iran, qui constitue environ 5 % de la population du pays mais a représenté 20 % des exécutions cette année-là.
En 2024, les autorités iraniennes ont poursuivi leur campagne d’exécutions, notamment à l’encontre de membres de minorités ethniques et de dissident·e·s.