Écrire Un député va être jugé par un tribunal militaire

Le procès du député tunisien Yassine Ayari s’ouvrira le 14 février devant le tribunal militaire de première instance de Tunis. Il est poursuivi en raison de publications sur Facebook dans lesquelles il qualifiait la concentration des pouvoirs entre les mains du président Kaïs Saïed de « coup d’État ».

Après la décision prise le 25 juillet 2021 par le président de suspendre le Parlement et de lever l’immunité parlementaire de ses membres, il a été arrêté et a passé deux mois dans la prison de Mornaguia pour une affaire datant de 2018.

Amnesty International demande que les poursuites engagées contre Yassine Ayari soient abandonnées et qu’il soit mis fin aux poursuites de membres de la population civile devant des tribunaux militaires.

Yassine Ayari, un ingénieur de 40 ans qui s’était opposé au régime de l’ancien président Ben Ali, a été élu député lors de l’élection législative partielle de 2018 pour la circonscription « Allemagne ». Il a de nouveau été élu en 2019 avec son parti politique, Espoir et travail, pour représenter cette fois les Tunisiens de France. Après avoir quitté la Tunisie en 2010, Yassine Ayari a passé huit ans en exile, exerçant une activité d’ingénieur en Belgique et en France. En 2017, dans une publication sur Facebook, il a critiqué l’ancien président Beji Caid Essebsi et son recours à l’armée pour « réprimer la population ». En 2018, un tribunal militaire l’a déclaré coupable d’avoir « diffamé l’armée » et l’a condamné à deux mois d’emprisonnement.

Le 25 juillet 2021, après l’annonce par le président Kaïs Saïed de la suspension du Parlement et de la levée de l’immunité parlementaire, Yassine Ayari a vivement critiqué le président dans plusieurs publications sur Facebook. Dans ses publications, qu’Amnesty International a consultées, Yassine Ayari dénonçait ce qu’il considérait comme un abus de pouvoir de la part du président, qualifiant de « coup d’État militaire planifié et coordonné par l’étranger » la décision du 25 juillet 2021 de suspendre le Parlement et employant des termes tels que « Pharaon » et « idiot » pour désigner le président.

Le 30 juillet 2021, au moins 30 policiers en civil ont effectué une descente chez Yassine Ayari sans présenter de mandat d’arrêt et l’ont conduit vers une destination alors inconnue. Son frère a déclaré à Amnesty International que la famille avait ensuite appris qu’il avait été conduit en prison pour purger la peine de deux mois d’emprisonnement à laquelle il avait été condamné en 2018 par le tribunal militaire de Tunis en raison de publications sur Facebook considérées comme « diffamant l’armée ». Le tribunal militaire a ordonné son arrestation après la levée de l’immunité de tous les parlementaires, décidée le 25 juillet 2021 par le président Kaïs Saïed en même temps que la suspension du Parlement.

Depuis la prise de nouveaux pouvoirs par le président Kaïs Saïed le 25 juillet 2021, de plus en plus de civils, parmi lesquels un journaliste, un blogueur et des personnalités politiques d’opposition, ont été renvoyés devant des tribunaux militaires. Des enquêtes et des poursuites ont été lancées par la justice militaire contre au moins 10 autres civils. Les poursuites pour « outrage » à l’armée, au président ou à d’autres institutions de l’État ne sont pas dûment reconnues au titre du droit international et sont donc contraires aux obligations de la Tunisie au regard de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).

En 2011, le Comité des droits de l’homme des Nations unies, qui surveille l’application du Pacte, a publié une observation générale à l’attention des gouvernements dans laquelle il détaillait leurs obligations en matière de liberté d’expression au titre de l’article 19. Le Comité y soulignait l’importance particulière accordée par le PIDCP à l’expression sans entrave « dans le cadre du débat public concernant des personnalités publiques du domaine politique et des institutions publiques », ajoutant : « les États parties ne doivent pas interdire la critique à l’égard d’institutions telles que l’armée ou l’administration. »

Permettre qu’un civil soit poursuivi par un tribunal militaire constitue une violation du droit à un procès équitable et des garanties d’une procédure régulière. Les Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique, au titre de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, publiés en 2003, indiquent que « [l]es tribunaux militaires ont pour seul objet de connaître des infractions d’une nature purement militaire commises par le personnel militaire ». Les juridictions militaires ont été un élément clé de l’appareil répressif de l’État sous la présidence de Habib Bourguiba, de 1957 à 1987, et de Zine el Abidine Ben Ali, de 1987 à 2011. Sous ces deux présidences, des personnes ont été condamnées par des tribunaux militaires pour des infractions à caractère politique lors de procès d’une iniquité flagrante.

Les tribunaux militaires ont fait l’objet d’une réforme partielle à la suite du soulèvement en Tunisie, mais ils sont toujours sous le contrôle indu de l’exécutif, le président de la République ayant le contrôle exclusif de la désignation des juges et des procureurs de ces juridictions. De plus, tant le procureur général, qui dirige la justice militaire, que les procureurs des tribunaux militaires, qui jouent un rôle essentiel dans l’ouverture de poursuites, sont membres de l’armée, soumis à la discipline de l’armée, ce qui les place sous les ordres directs de l’exécutif.

J'agis

PASSEZ À L’ACTION : ENVOYEZ UN APPEL EN UTILISANT VOS PROPRES MOTS OU EN VOUS INSPIRANT DU MODÈLE DE LETTRE CI-DESSOUS

Monsieur le président,

Je vous écris pour vous faire part de mes graves préoccupations quant aux poursuites engagées contre le député Yassine Ayari par le tribunal militaire de première instance de Tunis. Comme vous le savez, au titre du droit international relatif aux droits humains, les membres de la population civile ne doivent jamais être jugés par des tribunaux militaires. De plus, exprimer des opinions critiques à l’égard des autorités est protégé au titre de la liberté d’expression et ne devrait pas être sanctionné d’une quelconque manière.

Yassine Ayari a été arrêté le 30 juillet 2021, trois jours après votre annonce de la suspension du Parlement et de la levée de l’immunité parlementaire, pour purger une peine d’emprisonnement de deux mois prononcée par un tribunal militaire en 2018 en raison de publications sur Facebook critiquant l’armée. Il a été libéré le 22 septembre 2021 mais fait maintenant l’objet d’un nouveau procès qui s’ouvrira le 14 février, dans le cadre d’une affaire intentée contre lui par le même tribunal militaire pour des publications sur Facebook datant des 25, 26, 27 et 28 juillet 2021. Dans ces publications, Yassine Ayari critiquait le fait que vous preniez des pouvoirs exceptionnels, qualifiant cela de « coup d’État ».

Il est poursuivi au titre des articles 67 et 128 du Code pénal, qui prévoient des peines de prison et des amendes pour « outrage au chef de l’État » et pour avoir « imputé à un fonctionnaire public des faits illégaux en rapport avec ses fonctions, sans en établir la véracité », respectivement. Il est également poursuivi au titre de l’article 91 du Code de justice militaire, qui prévoit jusqu’à trois ans d’emprisonnement pour quiconque « se rend coupable […] d’outrages au drapeau ou à l’armée, d’atteinte à la dignité, à la renommée, au moral de l’armée, d’actes de nature à affaiblir, dans l’armée, la discipline militaire, l’obéissance et le respect dû aux supérieurs, ou de critiques sur l’action du commandement supérieur ou des responsables de l’armée portant atteinte à leur dignité » et pour la divulgation d’« informations concernant les incidents militaires ».

Yassine Ayari est poursuivi et pourrait être emprisonné en raison de l’exercice de son droit à la liberté d’expression et pour avoir exprimé ses opinions en ligne. Ses critiques politiques sont protégées au titre de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), que la Tunisie a ratifié. Amnesty International est préoccupée par le fait qu’au moins neuf autres civils font l’objet d’enquêtes et de poursuites par des tribunaux militaires en Tunisie pour plusieurs infractions, dont quatre (parmi lesquels Yassine Ayari) sont jugés par la justice militaire pour avoir exprimé des opinions critiques à l’égard du président.

Je vous demande instamment de veiller à ce que les poursuites dont fait l’objet Yassine Ayari soient abandonnées et à ce qu’il soit mis fin à son procès devant un tribunal militaire, qui est lié à son expression pacifique en ligne. Je demande également aux autorités de mettre fin aux poursuites de civils devant des tribunaux militaires.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération,

VOS APPELS : arabe, français ou anglais. Vous pouvez également écrire dans votre propre langue.


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