Mohamed Boughalleb est un journaliste tunisien de premier plan. Il a fréquemment critiqué le président et d’autres responsables lors d’émissions télévisées et radiophoniques, les accusant notamment de mauvaise gouvernance et de corruption. Bien qu’il ait purgé sa peine injuste de huit mois de prison, Mohamed Boughalleb est maintenu arbitrairement en détention dans le cadre d’une autre affaire. En avril 2024, un juge a ordonné sa détention provisoire sur la base de fausses accusations de diffusion de fausses nouvelles, en vertu de l’article 24 du décret-loi 2022-54 sur la cybercriminalité. Il est accusé d’avoir insulté une personne sur les réseaux sociaux. Selon ses avocats, cependant, il n’est pas l’auteur du message en question ni le propriétaire du compte sur le réseau social.
Le 11 février 2025, la Cour de cassation de Tunis devrait décider de renvoyer l’affaire en jugement ou d’abandonner les charges retenues contre lui. Il encourt cinq ans de prison et une amende de 50 000 dinars (environ 16 000 dollars étatsuniens) en vertu de l’article 24, qui érige en infraction l’utilisation des réseaux de télécommunications pour produire, envoyer ou diffuser de « fausses nouvelles », de « fausses données », de « fausses rumeurs » ou des « documents faux, falsifiés ou faussement attribués » pour nuire, diffamer ou inciter à la violence contre autrui, ou pour porter atteinte à la sécurité publique ou à la défense nationale, répandre la peur ou inciter à la haine.
Depuis mai 2024, les autorités tunisiennes ont encore intensifié leur répression contre les médias et le droit à la liberté d’expression, en condamnant deux journalistes et le fondateur d’une chaîne de médias à des peines de prison, en arrêtant et en poursuivant une autre personnalité des médias et en intimidant des médias privés.
Le 22 mai, le tribunal de première instance de Tunis a condamné Borhen Bsaies et Mourad Zeghidi, deux journalistes de premier plan, à un an de prison, en vertu de l’article 24 du décret-loi 2022-54 sur la cybercriminalité, dans des affaires distinctes.
Le lendemain, le même tribunal a condamné Houssem Hajlaoui, créateur de médias et militant dans le domaine de la technologie, à neuf mois de prison avec sursis pour ses propos en ligne, après l’avoir maintenu en détention pendant 11 jours.
Le 11 mai 2024, Sonia Dahmani, avocate s’exprimant régulièrement dans les médias, collègue de Borhen Bsaies et Mourad Zeghidi dans l’émission quotidienne populaire « Emission Impossible » sur la station de radio privée IFM, a également été arrêtée en vertu du décret-loi 2022-54 sur la cybercriminalité.
Le 6 juillet 2024, le tribunal de première instance de Tunis a condamné Sonia Dahmani à un an de prison, ramené à huit mois en appel, pour avoir fait un commentaire ironique sur la situation des migrant·e·s en Tunisie lors d’une émission télévisée. Le 24 octobre, ce même tribunal l’a condamnée à deux ans supplémentaires dans le cadre d’une autre affaire, pour avoir mis en lumière des pratiques racistes et discriminatoires en Tunisie. Ces trois personnes se trouvent toujours en détention.
Depuis sa promulgation en septembre 2022, les autorités invoquent le décret-loi 2022-54 pour s’en prendre à des personnes qui exercent leur droit à la liberté d’expression. Ce décret-loi est contraire aux traités relatifs aux droits humains, notamment aux dispositions de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auxquels la Tunisie est partie.
L’article 9 de la Charte et l’article 19 du PIDCP garantissent le droit à la liberté d’expression. Les restrictions imposées à ce droit sur la base de termes ambigus et très généraux tels que « fausses nouvelles », et les dispositions répressives de la loi relative à la cybercriminalité ne répondent pas aux exigences de légalité, de nécessité et de proportionnalité.
Le 25 juillet 2021, le président Kaïs Saïed a invoqué des pouvoirs d’exception, affirmant qu’ils lui sont conférés par la Constitution tunisienne de 2014. Depuis février 2022, la situation des droits humains en Tunisie se dégrade rapidement : des figures de l’opposition, des dissident·e·s, des personnes perçues comme des ennemis du président et des détracteurs du gouvernement sont pris pour cibles et harcelés.
Les autorités ont procédé à des vagues successives d’arrestations visant les opposants politiques et ceux qui sont perçus comme des critiques du président Kais Saied.
Plus de 70 personnes, dont des opposant·e·s politiques, des avocat·e·s, des journalistes, des militant·e·s et des défenseur·e·s des droits humains, ont fait l’objet de poursuites arbitraires et/ou de détentions arbitraires depuis fin 2022, dans le cadre de l’exercice de leurs droits internationalement garantis, tels que les droits à la liberté d’expression, à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association.
La répression de l’opposition et des critiques constitue une attaque flagrante contre l’état de droit et les droits humains, notamment les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique en Tunisie, droits protégés par les articles 19, 21 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et les articles 9, 10 et 11 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.