Salekh Magamadov et Ismaïl Issaïev sont depuis longtemps la cible des autorités tchétchènes. Selon des informations publiées par les médias, en 2019, Ismaïl Issaïev a subi à l’âge de 16 ans des violences et des persécutions en raison de son orientation sexuelle et de son identité de genre, réelles ou supposées. Son enlèvement par les forces de police a été suivi de violences physiques à son encontre et de sa détention dans un lieu inconnu durant sept jours, avant sa remise en liberté contre rançon. Le 30 mars 2020, Ismaïl Issaïev et Salekh Magamadov ont été victimes d’une arrestation arbitraire de la part des forces de police tchétchènes qui a conduit à leur détention dans les locaux de la police de patrouille.
Là, d’après leur récit, ont été perpétrés des actes de torture et d’autres mauvais traitements en représailles de leur gestion d’une chaîne Telegram destinée aux jeunes, « Ossal Nakh 95 », qui contenait des messages critiquant les autorités et les traditions tchétchènes. Leur remise en liberté a eu lieu en mai, à la suite de la publication sur Internet d’une vidéo contenant leurs « excuses » forcées. Salekh Magamadov et Ismaïl Issaïev ont fui la Tchétchénie en juillet 2020 de crainte de subir d’autres représailles, notamment en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre, réelles ou supposées. Le Réseau LGBT russe leur a apporté son aide pour leur déménagement à Nijni Novgorod, en Russie centrale, en raison de craintes persistantes pour leur sécurité.
Le 4 février 2021, le Réseau LGBT russe a signalé que les forces de police avaient arrêté Salekh Magamadov et Ismaïl Issaïev dans leur appartement de Nijni Novgorod. L’une des deux victimes a réussi à appeler rapidement le Réseau LGBT russe pendant la perquisition de l’appartement, et l’association leur a immédiatement envoyé un avocat. Ce dernier est arrivé dans un appartement vide où une descente de police violente avait manifestement eu lieu. La police locale a fini par lui confirmer avoir appréhendé Salekh Magamadov et Ismaïl Issaïev et par lui indiquer leur transfert en voiture à destination de Goudermes, en Tchétchénie. La police n’a communiqué aucune autre information les concernant.
À leur arrivée à Goudermes, dans l’après-midi du 6 février, Salekh Magamadov et Ismaïl Issaïev ont subi un interrogatoire, en tant que témoins, au poste de police local. Leur avocat n’a reçu aucune information détaillée sur l’affaire. Leur remise en liberté, aux alentours de 20 heures, a été immédiatement suivie d’une nouvelle arrestation dès leur sortie du poste de police. Cette arrestation n’a été justifiée d’aucune manière et a entraîné leur transfert en voiture jusqu’au village de Sernovodsk, à environ 90 kilomètres de là, toujours en Tchétchénie. Leur père et leur avocat leur ont emboîté le pas.
À Sernovodsk, l’avocat s’est vu refuser l’autorisation de les voir ou d’entrer dans le poste de police. Selon lui, il était environ 23 heures lorsqu’un haut responsable tchétchène est arrivé au poste de police et, en collaboration avec des policiers, a obligé leur père à abandonner ses tentatives de les faire représenter par l’avocat et de les voir, malgré son statut de responsable légal d’Ismaïl Issaïev, qui n’avait pas encore atteint l’âge de la majorité. Le Réseau LGBT russe a ensuite envoyé un autre avocat en Tchétchénie. Lorsque ce dernier s’est présenté au poste le lendemain, c’est-à-dire le 7 février, les policiers ne l’ont pas autorisé à voir Salekh Magamadov et Ismaïl Issaïev et ont refusé d’accepter sa plainte officielle.
Quand les avocats engagés par le Réseau LGBT russe ont finalement pu les voir en mars, Salekh Magamadov et Ismaïl Issaïev leur ont affirmé avoir été victimes de mauvais traitements au cours de leur transfert en Tchétchénie et de leur détention au poste de police de Sernovodsk. Selon leurs dires, les policiers leur auraient notamment fait, sous la contrainte, signer des « aveux » et refuser les services des avocats de leur choix. Parmi leurs interrogateurs au poste de police de Sernovodsk, Salekh Magamadov et Ismaïl Issaïev ont reconnu les agents de la police de patrouille qui leur avaient infligé des actes de torture en détention au printemps 2020.
Le 8 février, la Cour européenne des droits de l’homme a requis la prise de mesures urgentes par les autorités russes afin de veiller à ce que Salekh Magamadov et Ismaïl Issaïev puissent s’entretenir librement et sans délai avec l’avocat·e de leur choix et avec les membres de leur famille et bénéficier immédiatement d’un examen par un professionnel de santé indépendant. Cependant, cette demande n’a pas été prise en compte. À ce moment-là, Salekh Magamadov et Ismaïl Issaïev étaient dans le centre de détention provisoire à Ourous-Martan. Le 9 février, un tribunal de cette ville a ordonné leur placement en détention pour deux mois et leur transfert au centre de détention provisoire SIZO-2 à Grozny. Ni leurs parents, ni leurs avocats n’ont été informés de l’audience. Leurs avocats ont fait appel de leur placement en détention. Le 20 février, la cour suprême de Tchétchénie a rejeté l’appel. Salekh Magamadov et Ismaïl Issaïev n’ont pu voir leurs avocats qu’à la mi-mars.
Au fil des années, les défenseur·e·s des droits humains ont recensé des violations généralisées des droits humains en Tchétchénie, telles que des détentions arbitraires massives, des actes de torture et autres mauvais traitements, et des exécutions extrajudiciaires. Les personnes qui critiquent les autorités tchétchènes, sur les réseaux sociaux par exemple, s’exposent à des représailles sévères.
En septembre 2020, Salman Tepsourkaïev, âgé de 19 ans et modérateur de « 1ADAT », une chaîne Telegram populaire, a été enlevé dans le territoire de Krasnodar, dans le sud de la Russie, par des hommes appartenant vraisemblablement aux forces de l’ordre tchétchènes, avant d’être conduit dans un lieu tenu secret en Tchétchénie. Depuis, personne ne sait le sort qui lui a été réservé ni le lieu où il se trouve, malgré l’ouverture officielle d’une enquête pénale à la fin du mois de novembre 2020 sur sa disparition forcée.