Écrire Un écrivain incarcéré par un tribunal antiterroriste

L’écrivain saoudien Zuhair Kutbi a été condamné à quatre ans de prison pour des accusations liées à son militantisme pacifique. Il risque d’être victime de torture et d’autres mauvais traitements et a besoin de soins médicaux. Cet homme est un prisonnier d’opinion.

Zuhair Kutbi a été condamné le 21 décembre à une peine de quatre ans de prison par le Tribunal pénal spécial à Riyadh, suivie d’une interdiction de voyager à l’étranger pendant cinq ans, et assortie d’une amende de 100 000 riyals saoudiens (environ 24 400 euros) et d’une interdiction d’écrire et de donner des interviews aux médias pendant 15 ans. Le tribunal lui a aussi ordonné d’effacer ses comptes sur les réseaux sociaux. En raison de sa santé, il bénéficie de deux ans de sursis sur ses quatre années de prison, mais il devra les purger si jamais il commet une nouvelle « infraction ».
Le Tribunal pénal spécial, instance antiterroriste dont les abus sont bien connus, a déclaré Zuhair Kutbi coupable d’avoir violé la loi antiterroriste saoudienne, la Loi relative aux crimes de terrorisme et à leur financement, et l’article 6 de la Loi contre la cybercriminalité, en « manipulant l’opinion publique », « semant la discorde » et « sapant le respect des citoyens pour l’état de droit ».

Il semble que Zuhair Kutbi a été appréhendé le 15 juillet pour des propos qu’il a tenus le 25 juin dernier sur le plateau de l’émission télévisée Fi al Samim (Droit au but) sur la chaîne satellite Rotana Khalijia. À cette occasion, il a dénoncé la répression politique en Arabie saoudite et appelé à des réformes, notamment pour transformer le régime politique actuel du pays en monarchie constitutionnelle.

Depuis son arrestation, il a été détenu dans trois centres différents, où il a été interrogé et où il aurait subi des mauvais traitements. Il se trouve actuellement à la prison générale de La Mecque. Il a besoin de soins médicaux car il s’est récemment fait opérer d’un cancer. Par ailleurs, il souffre de diabète et d’hypertension.

Depuis 2012, les autorités saoudiennes répriment systématiquement toute forme de dissension et de militantisme pacifique, en prenant pour cible les militants et les dissidents. Début 2014, la plupart des défenseurs des droits humains influents et indépendants étaient en prison ou réduits au silence, ou avaient fui le pays. La majorité d’entre eux avaient déjà fait l’objet d’interdictions de voyager, ainsi que d’actes d’intimidation et de harcèlement de la part des forces de sécurité – notamment des agents de la Direction générale des enquêtes (également appelée al Mabahith), qui dépend du ministère de l’Intérieur – avant d’être jugés et condamnés à de lourdes peines. Beaucoup ont été sanctionnés à l’issue de procès d’une iniquité flagrante devant le Tribunal pénal spécial, juridiction chargée des affaires liées à la sécurité et au terrorisme.

La répression systématique des défenseurs des droits humains et des militants pacifiques s’inscrit dans le cadre d’une vaste campagne menée par le gouvernement pour réduire au silence ses détracteurs afin de les empêcher de révéler, directement ou indirectement, les violations des droits humains commises par ses représentants. Celui-ci s’attaque notamment aux militants qui luttent pour les droits des femmes, aux proches de victimes de violences, aux chiites dissidents qui dénoncent la discrimination dont fait l’objet leur communuaté, et à tous ceux qui communiquent avec des organisations internationales de défense des droits humains telles qu’Amnesty International.

Les membres de l’Association saoudienne des droits civils et politique (ACPRA), organisation indépendante de défense des droits, sont en première ligne de ces persécutions. Huit de ses fondateurs sont actuellement en prison, purgeant leur peine ou attendant l’issue de leur nouveau procès devant le Tribunal pénal spécial. Seuls deux cofondateurs sont en liberté en attendant de connaître la décision de ce tribunal à leur égard. Abdullah al Hamid, Mohammad al Qahtani, Suliaman al Rashudi, Abdulkareem al Khoder, Abdulrahman al Hamid, Fowzan al Harbi, Mohammed al Bajad et Omar al Said purgent des peines de prison allant jusqu’à 15 ans, assorties d’une interdiction de voyager de même durée, en raison de leur militantisme pacifique.

Depuis février 2014, les autorités invoquent la loi antiterroriste pour s’en prendre davantage encore aux militants des droits humains et aux dissidents pacifiques. En vertu de ce texte, au moins deux membres de l’ACPRA ont vu leur procès rouvert devant le Tribunal pénal spécial, alors qu’ils avaient déjà été condamnés il y a plusieurs années par d’autres tribunaux ou qu’ils purgeaient déjà une peine pour les mêmes faits au titre d’autres lois. Trois autres membres de l’ACPRA, dont Abdulrahman al Hamid, ont été jugés par le Tribunal pénal spécial depuis l’entrée en vigueur de la loi antiterroriste.

Les autorités saoudiennes ont également utilisé cette loi pour réduire au silence et incarcérer plusieurs autres militants indépendants des droits humains et dissidents. Le 6 juillet 2014, l’avocat Waleed Abu al Khair a été le premier défenseur des droits humains à être condamné au titre de la loi antiterroriste de 2014. Il purge une peine de 15 ans d’emprisonnement, assortie d’une interdiction de voyager consécutive de la même durée et d’une amende. Il a été déclaré coupable d’avoir « désobéi au souverain et cherché à lui ôter sa légitimité », « insulté le pouvoir judiciaire et remis en cause l’intégrité des juges », « créé une organisation non autorisée », « nui à la réputation de l’État en communiquant avec des organisations internationales » et « rédigé, enregistré et envoyé des informations troublant l’ordre public » (voir l’AU 98/14, https://www.amnesty.org/fr/documents/mde23/1546/2015/fr/).

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