Écrire L’équité d’un procès remise en cause à l’approche d’une exécution

Stacey Johnson, 47 ans, doit être exécuté dans l’Arkansas le 20 avril pour un meurtre commis en 1993. Trois juges de la cour suprême de l’Arkansas ont estimé qu’il n’avait pas bénéficié d’un procès équitable car il n’avait pas eu accès à des informations concernant la fiabilité d’un témoin essentiel de l’accusation.

Le 2 avril 1993, le corps de Carol Heath a été retrouvé dans son appartement à DeQueen, dans l’Arkansas. Elle avait la gorge tranchée et d’autres blessures. Sa fille de six ans a déclaré qu’un homme noir avec un « nom de fille » était venu à leur domicile, que lui et sa mère s’étaient battus et qu’il avait un couteau. La fillette a désigné Stacey Johnson parmi une série de photos représentant sept hommes noirs qui lui a été montrée par des policiers. Celui-ci a été arrêté le 14 avril 1993 au Nouveau-Mexique et conduit dans le comté de Sevier, dans l’Arkansas, pour être jugé. Il a été déclaré coupable du meurtre et condamné à mort en 1994. En appel, en 1996, la cour suprême de l’Arkansas a ordonné un nouveau procès au motif que le témoignage de la police au sujet de l’identification de l’accusé par la fillette (que le juge avait déclarée inapte à témoigner) constituait une preuve par ouï-dire irrecevable.

L’avocat de Stacey Johnson a requis un renvoi du procès devant une autre juridiction en raison de son grand retentissement. Le juge a accepté ce dépaysement mais a choisi le comté de Pike au lieu de celui de Little River, qui avait été demandé. L’avocat a contesté ce choix, en soulignant que la population du comté de Pike comportait un pourcentage bien plus faible de citoyens noirs (3 % des électeurs inscrits contre 19 % dans celui de Little River), alors qu’il s’agissait d’une affaire où l’accusé était noir et la victime blanche. Le nouveau procès a néanmoins eu lieu dans le comté de Pike en 1997, devant un jury dont un seul membre était afro-américain.

La fille de la victime, alors âgée de 10 ans, a été déclarée apte à témoigner et est devenue un témoin essentiel de l’affaire. Stacey Johnson a de nouveau été déclaré coupable et condamné à mort. En 2000, la cour suprême de l’Arkansas a confirmé de justesse le verdict de culpabilité et la condamnation à mort.

Trois des sept juges qui la composaient ont rendu un avis divergent. Ils ont relevé que la fille de la victime suivait une psychothérapie depuis le meurtre.

Avant le premier procès, sa tutrice légale avait levé le secret des communications entre thérapeute et patient pour la psychologue en question. Cette dernière a certifié lors d’une audience sur son aptitude à témoigner que l’état de santé mentale de la fillette se dégraderait si on la faisait témoigner et qu’elle ne se souvenait pas exactement de ce qui s’était passé un an auparavant. Entre 1996 et 1998, la fillette a été traitée par une autre thérapeute. Lors du nouveau procès de 1997, sa tutrice a refusé de lever le secret professionnel pour cette thérapeute. Par conséquent, l’avocat de Stacey Johnson n’a pas pu accéder à ses notes.

S’il avait pu les consulter, ont estimé les trois juges, « il aurait pu fouiller dans les conclusions [de la thérapeute] indiquant que les récits [de la fillette] étaient profondément incohérents et qu’elle subissait une pression considérable de la part de sa famille et du procureur pour faire condamner Stacey Johnson », informations qui auraient pu apporter « un tout nouvel éclairage permettant de contester la fiabilité du témoignage [de la fillette] ».

Ils ont également écrit : « Si un patient est autorisé à faire son choix entre plusieurs professionnels amenés à témoigner et peut, au nom du secret professionnel, empêcher que des éléments remettant un témoin en cause soient dévoilés au tribunal, il peut s’agir d’une parodie de justice. » Un tel « choix », ont-ils poursuivi, est « exactement ce qui s’est produit » dans ce cas et Stacey Johnson s’est retrouvé « paralysé » pour son contre-interrogatoire de ce témoin, pour assurer sa défense en général et « a donc été privé de son droit à un procès équitable ».

Les trois juges qui n’étaient pas d’accord pour confirmer le verdict de culpabilité de Stacey Johnson en 2000 ont dévoilé certaines des notes de la thérapeute auxquelles la défense n’a pas eu accès. Parmi ces extraits des notes rédigées par la thérapeute à l’issue des séances avec la fillette (désignée par la lettre A) avant le deuxième procès figuraient les passages suivants : « Le procureur dit qu’elle est la seule personne qui peut “le maintenir derrière les barreaux”. » ; « Ce que dit A répète en grande partie les propos d’autres membres de sa famille. Par exemple, elle dit : “Je suis la seule qui puisse l’envoyer derrière les barreaux”. » ; « Sa grand-mère a dit à A qu’elle “doit le maintenir derrière les barreaux” car, s’il sort, il tentera ensuite de tuer A. » ; « Sa grand-mère a insisté sur la responsabilité qui pèse sur elle et, si la peine de Johnson est annulée, A se sentira totalement responsable. » ; « A voulait sans cesse donner des détails sur ce qu’elle avait vu. [Le procureur] lui a affirmé que tout ce qu’elle avait à dire était qu’elle avait vu [Johnson] tuer sa mère, un point c’est tout. » Les trois juges minoritaires ont accusé leurs quatre collègues d’adhérer à la position du ministère public, selon laquelle la tutrice de la fillette « devait pouvoir choisir quel thérapeute témoignerait et serait mis à la disposition de la défense.

Cela n’aurait pas dû être autorisé. Il va sans dire que si la tutrice d’A lève le secret professionnel pour une psychothérapeute jouant un rôle essentiel, cette levée du secret doit s’appliquer à une seconde thérapeute qui l’a également traitée pour l’aider à surmonter le meurtre brutal de sa mère avant le deuxième procès. Dans le cas présent, la défense a été empêchée d’examiner les notes de [la seconde thérapeute], qui avait mené les séances de thérapie plus récentes avec A et qui, sans aucun doute, aurait présenté un meilleur aperçu de son état mental actuel ». La « seule source citée par la majorité pour valider la position unique du ministère public est une procédure civile de 1915 », dans laquelle « n’entrent pas en jeu les droits fondamentaux et les considérations politiques propres à une affaire de meurtre passible de la peine capitale ».

Aux termes du droit international et des normes internationales, les personnes accusées d’infractions pénales ont le droit d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge. Certaines restrictions de ce droit sont admissibles si le témoin en question est particulièrement vulnérable, par exemple dans le cas d’un enfant. Cependant, toute restriction doit être jugée objectivement nécessaire par un tribunal, être proportionnée et respecter les droits de l’accusé et les conditions d’un procès équitable. Étant donné le caractère irréversible de la peine capitale, les procédures dans les affaires où elle peut être prononcée doivent être rigoureusement conformes à toutes les normes internationales garantissant le droit à un procès équitable et appliquer strictement les critères les plus exigeants en matière de collecte et d’évaluation des preuves.

Toutes les études menées sur le sujet ont démontré que l’origine ethnique, en particulier celle des victimes, joue un rôle dans l’application de la peine de mort. En 2015, par exemple, le juge Stephen Breyer de la Cour suprême des États-Unis a fait remarquer que, selon plusieurs études, les personnes accusées d’avoir tué des victimes blanches étaient plus susceptibles d’être condamnées à mort que celles accusées d’avoir ôté la vie à des victimes noires ou membres d’autres minorités. Aux États-Unis, il y a à peu près autant de Noirs que de Blancs parmi les victimes de meurtre (ce qui signifie que les personnes noires, qui ne représentent qu’environ 13 % de la population, sont touchées de manière disproportionnée). Pourtant, dans l’ensemble du pays, 78 % des personnes exécutées depuis 1977 ont été condamnées pour des crimes dont les victimes étaient blanches. En Arkansas, cette proportion s’élève à 89 %.

Comme de nombreux autres États, l’Arkansas rencontre des difficultés pour se procurer les produits chimiques nécessaires aux exécutions par injection létale et pour appliquer des protocoles respectant, selon les juges, les critères de conformité à la Constitution. Le 23 juin 2016, la cour suprême de l’Arkansas a validé la méthode d’exécution par injection de trois substances, selon laquelle les autorités pénitentiaires choisissent soit un barbiturique soit le midazolam comme sédatif, puis utilisent du bromure de vecuronium comme agent paralysant, et enfin du chlorure de potassium pour provoquer un arrêt cardiaque entraînant la mort. À la suite du refus de la Cour suprême fédérale d’intervenir en février 2017, le gouverneur Hutchinson a fixé des dates d’exécution pour les huit hommes au nom desquels le recours judiciaire contre le protocole d’injection létale avait été déposé : Don Davis et Bruce Ward doivent être exécutés le 17 avril ; Ledelle Lee et Stacey Johnson, le 20 avril ; Marcel Williams et Jack Jones, le 24 avril ; et Jason McGehee et Kenneth Williams, le 27 avril (voir https://www.amnesty.org/fr/documents/amr51/5816/2017/fr/).

Six exécutions ont déjà eu lieu cette année aux États-Unis, ce qui porte à 1 448 le nombre de personnes auxquelles les autorités de ce pays ont ôté la vie depuis la reprise de cette pratique en 1977, après l’approbation de la nouvelle législation relative à la peine capitale par la Cour suprême fédérale en 1976. La dernière exécution recensée en Arkansas – la 27e depuis 1977 dans cet État – a eu lieu en 2005. Amnesty International s’oppose catégoriquement à la peine de mort, en toutes circonstances et dans tous les pays. À l’heure actuelle, quelque 141 pays sont abolitionnistes en droit ou dans la pratique.

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