Les deux plaintes visant Khadijatul Kubra sont formulées en des termes presque identiques et ont été déposées successivement, les 11 et 19 octobre 2020, par deux policiers travaillant dans des postes de police distincts qui ont regardé son webinaire sur YouTube. Ceux-ci l’ont accusée d’avoir tenté « de troubler la situation politique existante », « d’impliquer le public dans des activités antigouvernementales », « d’entacher la réputation du Bangladesh sur la scène internationale » et « de renverser le gouvernement légitime du Bangladesh », ainsi que d’avoir « insulté la Première ministre, des organes gouvernementaux et des personnalités importantes de l’État. »
Selon la famille de Khadija, elle a su que des plaintes la visaient plusieurs mois après leur enregistrement, mais elle n’en a pas informé ses proches. Son père travaillant comme employé de maison au Koweït et étant lourdement endetté depuis la pandémie de COVID-19, Khadija savait que sa famille ne pouvait pas payer les dépenses et les amendes qu’impliquent des poursuites au titre de la Loi sur la sécurité numérique. Ses parents n’ont pris connaissance des plaintes déposées contre elle que lorsque la police s’est présentée chez eux pour arrêter leur fille.
Khadija n’est pas la seule mineure à faire l’objet d’une procédure pénale au titre de la Loi sur la sécurité numérique et à être poursuivie en tant qu’adulte. Dipti Rani Das, une adolescente de 17 ans appartenant à la minorité hindoue du Bangladesh, qui a été arrêtée le 28 octobre 2020, est restée détenue pendant plus d’un an dans un centre pénitentiaire pour « atteinte au sentiment religieux » et « contribution à la dégradation de l’ordre public ». Sa libération sous caution a été acceptée le 17 février 2022 et elle a été libérée le 15 mars 2022.
Poritosh Sarkar, un adolescent hindou, a été également accusé d’« atteinte au sentiment religieux » des musulmans en raison d’un commentaire désobligeant sur un réseau social lorsqu’il était scolarisé en classe de seconde. Il a été arrêté et détenu à l’isolement pendant huit mois, avant d’être condamné à cinq ans de prison malgré l’absence de preuves concluantes à l’issue de l’enquête le concernant.
Mohammed Emon, un lycéen de 15 ans poursuivi au titre de la Loi sur la sécurité numérique, a passé 16 jours dans un centre pénitentiaire pour mineurs à Gazipur avant d’être libéré sous caution et a dû se présenter ensuite devant le tribunal presque chaque mois pour attester de sa présence, après avoir partagé sur Facebook une publication sarcastique à l’égard des dirigeants du Bangladesh.
Le 7 août 2023, le gouvernement du Bangladesh a annoncé que la Loi sur la sécurité numérique allait être abrogée et qu’une nouvelle loi, la Loi sur la cybersécurité, allait être présentée pour la remplacer. Néanmoins, les poursuites engagées au titre de la Loi sur la sécurité numérique sont maintenues, malgré les demandes répétées des organisations de défense des droits humains pour que toutes les personnes détenues en vertu de cette loi pour avoir simplement exercé leur droit à la liberté d’expression soient libérées. S’il est important de veiller à ce que toute nouvelle loi adoptée, notamment la Loi sur la cybersécurité, soit conforme aux normes internationales, les poursuites engagées au titre de la Loi sur la sécurité numérique contre des personnes qui n’ont fait qu’exercer leur droit à la liberté d’expression, comme Shahnewaz Chowdhury, continuent de bafouer leurs droits fondamentaux.
Le Comité des droits de l’homme des Nations unies a déclaré que le droit à la liberté d’expression protège l’expression de toute forme d’idée et d’opinion, y compris les discours politiques, les commentaires sur les affaires publiques et les discussions sur les droits humains, en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel le Bangladesh est partie.
Les rapporteurs spéciaux des Nations unies sur la liberté d’expression ont exprimé leur préoccupation à l’égard de certains articles de la Loi sur la sécurité numérique, dont ceux utilisés contre Khadijatul Kubra, qui érigent en infraction l’expression sous de nombreuses formes selon des définitions vagues et d’une portée trop générale, laissant au gouvernement bangladais « une grande latitude afin de sanctionner de manière indue des personnes ayant ou partageant des opinions personnelles, d’où un effet paralysant sur l’exercice du droit à la liberté d’expression ».
Cette loi ayant été abrogée, les autorités doivent libérer les personnes qui sont détenus au titre de ses dispositions uniquement pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression.