Aux premières heures du 16 septembre 1999, l’employé qui travaillait ce soir-là dans une supérette de Spartanburg, en Caroline du Sud, a été tué par balle et un sac d’argent liquide a été volé. Un client qui jouait au poker sur une borne électronique dans le magasin a déclaré que Richard Moore avait tiré sur lui, sans le toucher. Peu après, non loin de là, un policier a arrêté Richard Moore qui saignait lui-même abondamment à la suite d’une blessure par balle à l’épaule gauche. Le sac d’argent liquide a été retrouvé dans sa voiture.
Richard Moore n’était pas armé quand il est entré dans la supérette.
Des témoins ont déclaré sous serment que l’employé portait une arme sur lui lorsqu’il travaillait tard et que le propriétaire du magasin en gardait plusieurs sous le comptoir. Deux armes à feu ont été utilisées lors des faits. Lorsqu’il a été arrêté peu après la fusillade, Richard Moore n’a pas résisté et a dit : « Je l’ai fait, je l’ai fait, je me rends, je me rends ! » Il n’a pas fait de déclarations au cours de son procès, mais lors d’une audience en appel en 2011, il a affirmé que l’employé avait braqué un pistolet sur lui, qu’ils avaient lutté pour s’emparer de l’arme et qu’il avait tiré « à l’aveuglette » sur l’employé.
En 2017, un expert en reconstitution de scènes de crime engagé par les avocat·e·s de Richard Moore a conclu : « Les éléments d’analyse scientifique corroborent le témoignage de M. Moore indiquant qu’il a répondu à la victime qui pointait une arme sur lui et qu’un échange de tirs a suivi, mais contredisent le témoignage [du client] indiquant que M. Moore portait une arme avant le premier coup de feu et que M. Moore a tiré celui-ci sur [le client]. » Richard Moore a toujours nié avoir tiré sur le client dans le magasin.
Dans son avis dissident rendu en 2022, la juge de la cour suprême de Caroline du Sud, Kaye Hearn, a écrit que cette affaire « met[tait] en lumière de nombreux écueils courants dans l’application de la peine de mort, à commencer par le rôle joué par la race ». La victime était blanche. Richard Moore est noir. Après son arrestation, mais avant son procès, a eu lieu une campagne électorale pour le poste d’avocat général du septième circuit fédéral (couvrant les comtés de Spartanburg et de Cherokee) lors de laquelle le candidat concurrent a été accusé par le sortant de faiblesse sur la peine de mort.
Ce dernier avait requis la peine capitale à maintes reprises dans des affaires où les victimes étaient blanches : pendant son mandat qui a duré de 1985 à 2001, le parquet du septième circuit a requis une condamnation à mort dans 21 affaires, dont 20 où la victime était blanche. L’avocat général sortant a perdu l’élection, mais avant de quitter ses fonctions, il a annoncé que la peine de mort serait requise dans l’affaire Moore.
La sélection du jury pour le procès de Richard Moore a débuté le 15 octobre 2001. Sur les 300 personnes figurant sur la première liste des juré·e·s potentiels, 65 étaient noires. Parmi les 96 personnes qui ont été interrogées individuellement, 19 étaient noires. Une liste de 38 personnes répondant aux critères pour être juré·e·s a été présentée, dont seulement trois étaient noires. Les deux seules personnes noires interrogées avant que 12 membres et deux suppléants (tous blancs) ne soient sélectionnés ont été récusés de façon péremptoire par le parquet.
Les avocat·e·s défendant Richard Moore en appel ont déposé un recours devant la Cour suprême des États-Unis dans lequel ils soulignent que le parquet a procédé à un interrogatoire différent et excessif des juré·e·s potentiels noirs par rapport aux juré·e·s potentiels blancs, et que les motifs « non raciaux » avancés par le parquet pour justifier la récusation des deux personnes noires ne résistent pas à un examen scrupuleux et montrent que la sélection du jury n’a pas respecté la clause d’égale protection de la loi figurant dans la Constitution fédérale.
À l’issue du procès en première instance, qui a duré quatre jours, le jury a déclaré Richard Moore coupable de meurtre, d’agression avec intention de tuer, de vol à main armée et de détention d’une arme à feu lors d’un crime violent, et s’est prononcé en faveur d’une condamnation à mort. En 2015, les avocat·e·s défendant Richard Moore en appel ont interrogé plusieurs membres de ce jury. La femme qui le présidait s’est décrite comme partisane de la loi du talion. L’un des jurés a qualifié Richard Moore de « rebut de l’humanité » et déclaré : « Les gens comme [lui] n’ont pas leur place dans le monde. »
En 2022, la cour suprême de Caroline du Sud a estimé que la peine de mort n’était pas disproportionnée dans cette affaire.
La juge Kaye Hearn a accusé ses collègues de se tromper en « niant l’importance du fait que M. Moore n’était pas armé en entrant dans le magasin » et de « perdre complètement de vue la grande différence entre un vol qui a mal tourné et un meurtre planifié et prémédité ». Elle a ajouté qu’elle n’avait pas trouvé « la moindre autre affaire dans laquelle un accusé avait été condamné à mort alors qu’il était entré non armé sur les lieux des faits » et a relevé « l’aveu stupéfiant » du parquet confirmant lors de son réquisitoire qu’il ne pouvait citer aucun cas comportant ce
« fait distinctif » en Caroline du Sud.
Le Comité des droits de l’homme, organe créé pour veiller à l’application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP, ratifié par les États-Unis en 1992), a précisé que, dans l’article 6 de ce traité, l’expression « les crimes les plus graves » – qui, dans les pays qui ne l’ont pas encore abolie, sont les seuls crimes pour lesquels le recours à la peine capitale est autorisé par le droit international – « doit être comprise de manière restrictive et s’entendre uniquement des crimes d’une extrême gravité, impliquant un homicide intentionnel ». L’article 6 du PIDCP interdit la privation arbitraire de la vie.
Le Comité des droits de l’homme a souligné que la notion d’« arbitraire » doit être « interprétée […] comme englobant des éléments relatifs au caractère inapproprié, injuste et imprévisible de l’acte visé et au principe de légalité tout comme des considérations de raisonnabilité, de nécessité et de proportionnalité ». Il a en outre rappelé qu’« une condamnation à mort ne doit pas être appliquée tant que des mesures internationales provisoires ayant un effet suspensif sont en vigueur ».
La Commission interaméricaine des droits de l’homme a prononcé des mesures conservatoires dans le cas de Richard Moore le 4 juillet 2023, en concluant à une présomption de violations du droit international nécessitant un sursis pour lui laisser le temps d’examiner le fonds de l’affaire.
Les autorités américaines ont procédé à 19 exécutions en 2024 jusqu’à présent. Le nombre de personnes exécutées depuis 1976 dans le pays s’élève à 1 601, dont 44 en Caroline du Sud. Parmi ces 44 personnes, une a été tuée en 2024. Amnesty International s’oppose catégoriquement à la peine de mort, en toutes circonstances.