Le 5 juillet 2005, une patrouille de police a repéré la voiture de Kevin Johnson devant le domicile de sa famille, à Meacham Park, un quartier de Kirkwood, près de Saint-Louis. Celui-ci, alors âgé de 19 ans, était en liberté conditionnelle après une précédente condamnation pour un délit et faisait l’objet d’un mandat d’arrêt pour en avoir violé les conditions. Pendant que les policiers fouillaient le véhicule, sa grand-mère est sortie en courant de chez elle en appelant à l’aide car l’un de ses autres petits-fils, le frère de Kevin Johnson, âgé de 12 ans, venait de s’effondrer inconscient. Kevin Johnson, qui se trouvait dans la maison voisine à ce moment, a vu un policier faire sortir sa mère du domicile de sa grand-mère et l’empêcher de retourner à l’intérieur auprès de l’enfant. Le garçon de 12 ans a été transporté à l’hôpital, où il est décédé d’un problème cardiaque.
Plus tard dans l’après-midi, Kevin Johnson a rencontré l’un des policiers présents devant la maison lors de cette scène. Le jeune homme, qui a par la suite affirmé avoir « disjoncté » et décrit son état mental comme une « transe », a accusé le fonctionnaire d’avoir tué son frère, avant de tirer sur lui à plusieurs reprises et de partir à pied. Le policier a survécu à ces premiers tirs, mais sa voiture a descendu la rue, heurté un arbre et s’est arrêtée. Il est sorti de la voiture, et Kevin Johnson a de nouveau tiré sur lui. Sur sept blessures par balle au total, l’une a été fatale au policier.
Le procureur a inculpé Kevin Johnson de meurtre avec préméditation. Selon la législation du Missouri, une personne se rend coupable de meurtre avec préméditation « si elle provoque sciemment la mort d’autrui après délibération ». La délibération est définie comme une « réflexion mûrie pendant un laps de temps, aussi bref soit-il ». Son premier procès, dans le comté de Saint-Louis au début de l’année 2007, s’est achevé par un jury indécis ayant voté par 10 voix contre deux en faveur d’une déclaration de culpabilité pour meurtre sans préméditation. Un second procès s’est ouvert à la fin de l’année 2007. Cette fois, dans le but d’obtenir une condamnation pour meurtre avec préméditation, le procureur a insisté à plusieurs reprises sur le fait que Kevin Johnson avait « mûrement réfléchi » avant de tuer le policier car il avait « décidé en toute conscience » de le faire.
Bien que le meurtre sans préméditation soit défini par la législation de l’État comme un homicide commis sciemment et de manière intentionnelle – ce dont le premier jury avait failli le déclarer coupable – la défense n’a jamais émis d’objection face à la stratégie du procureur. Elle n’a pas non plus présenté d’avis d’experts de la santé mentale quant à l’état d’esprit de Kevin Johnson au moment des faits et à la possibilité qu’il ait altéré son discernement. Durant son enfance et son adolescence, Kevin Johnson a vécu dans une grande pauvreté et subi des privations, des violences physiques et sexuelles et des négligences. Il a souffert d’une profonde dépression, d’hallucinations auditives et d’idées suicidaires. Il a tenté de mettre fin à ses jours à l’âge de 13 ou 14 ans.
En 2016, après avoir procédé à un bilan neuropsychologique et examiné de nombreux éléments relatifs à son passé, un spécialiste a conclu que Kevin Johnson était « né dans un environnement violent et négligent, avec une prédisposition génétique à des maladies mentales ». Ce spécialiste a estimé qu’il avait « développé un certain nombre de troubles mentaux, dont une grave dépression, un trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et une psychose, qui ont tous nécessité un traitement par des médicaments psychotropes ». Il a en outre souligné que ces informations auraient pu être utiles aux personnes prenant des décisions lors du procès, notamment « en tant que circonstances atténuantes quant à sa culpabilité morale au moment des faits ».
Le droit international interdit de condamner à mort des personnes atteintes de troubles psychosociaux (mentaux). Le Comité des droits de l’homme des Nations unies a ainsi souligné : « Les États parties doivent s’abstenir d’imposer la peine de mort à des personnes [...] dont la responsabilité morale est limitée. »
En 2005, la Cour suprême des États-Unis a – conformément au droit international – interdit l’application de la peine de mort pour les personnes âgées de moins de 18 ans au moment des faits en raison de leur culpabilité morale réduite. Elle a reconnu l’immaturité des jeunes, leur impulsivité, leur manque de discernement et leur sensibilité « aux influences négatives et aux pressions extérieures, notamment celles exercées par leurs pairs », ainsi que leur capacité d’évoluer. Elle a relevé que « les traits caractéristiques qui distinguent les mineurs des adultes ne disparaissent pas le jour des 18 ans d’un individu ».
En 2018, l’Association des avocats américains (ABA) a adopté une résolution appelant toutes les juridictions du pays où la peine de mort est en vigueur à « n’exécuter ni ne condamner à mort aucune personne pour des crimes qu’elle aurait commis à l’âge de 21 ans ou plus jeune », en mettant en avant « un consensus scientifique de plus en plus fort pour dire que les zones du cerveau commandant la prise de décisions et le jugement continuent de se développer jusqu’au début de la vingtaine », qui s’inscrit dans le « consensus moral évolutif selon lequel les personnes en fin d’adolescence partagent avec les adolescents plus jeunes une moindre culpabilité morale ».
Kevin Johnson est noir. La victime du meurtre était blanche. D’après un récent rapport d’experts portant sur 408 crimes passibles de la peine capitale commis dans le comté de Saint-Louis entre 1977 et 2018 (pour lesquels des condamnations ont été prononcés entre 1991 et 2020), après vérification des circonstances aggravantes et atténuantes, les cas où les victimes étaient blanches étaient 3,5 fois plus susceptibles d’entraîner une condamnation à mort que ceux où les victimes étaient noires. La couleur de peau de la victime avait en outre des conséquences « particulièrement fortes sur deux décisions attribuables uniquement aux procureurs : celle d’engager des poursuites pour meurtre avec préméditation et celle d’annoncer l’intention de requérir la peine de mort ».
Le parquet du comté de Saint-Louis a traité cinq affaires de meurtres de policiers durant les 27 années de mandat du procureur qui a pris en charge le procès de Kevin Johnson. Dans quatre de ces cinq cas, l’accusé était noir et le parquet a requis la peine de mort. Il ne l’a pas requise dans le seul cas où l’accusé était blanc.
Amnesty International s’oppose catégoriquement à la peine de mort, en toutes circonstances. Douze personnes ont été exécutées aux États-Unis jusqu’à présent en 2022. Les autorités du pays ont procédé à 1 552 exécutions depuis que la Cour suprême fédérale a approuvé les nouvelles lois relatives à la peine capitale en 1976, dont 92 dans le Missouri. Dans cet État, 80 % des cas concernaient des crimes dont les victimes étaient blanches.