Chelsea Manning était analyste militaire pour l’armée américaine en Irak et avait 25 ans lorsqu’elle a été arrêtée en mai 2010 et a fait l’objet de plusieurs inculpations pour obtention et diffusion, entre novembre 2009 et mai 2010, de plus de 700 000 documents confidentiels, notamment des rapports des services de renseignement, des télégrammes diplomatiques et des vidéos montrant des affrontements. Elle a passé plus de trois ans en détention provisoire, dont 11 mois dans des conditions qualifiées de cruelles et inhumaines par le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture : deux mois dans une cellule d’isolement en Irak et neuf mois dans une prison militaire à la base des marines de Quantico, dans l’État de Virginie, aux États-Unis.
À Quantico, Chelsea Manning était confinée 23 heures sur 24 dans une petite cellule, sans effets personnels et avec un accès limité à la lecture et à l’écriture. Aucun contact physique n’était possible pendant les visites à la base, y compris pour les visites de sa famille ou de son avocat, et elle avait les poignets et les chevilles menottés pendant ces visites d’après les informations dont dispose Amnesty International.
Chelsea Manning a affirmé avoir agi dans l’espoir de susciter un débat constructif sur le coût de la guerre et plus spécifiquement sur le comportement de l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Parmi les éléments qu’elle a révélés figurent des rapports à propos de détentions sur le champ de bataille et des vidéos inédites montrant des journalistes et d’autres civils tués lors d’attaques en hélicoptère menées par les États-Unis. Ces informations auraient, quoi qu’il en soit, dû être soumises au regard public.
Pourtant, le juge avait statué avant le procès que Chelsea Manning ne pourrait pas se défendre en présentant des éléments prouvant qu’elle avait agi dans l’intérêt général. Bien que le gouvernement américain ait le droit naturel d’assurer la sécurité des informations confidentielles, la sécurité nationale ne peut pas être utilisée pour justifier la dissimulation d’informations relatives à de graves violations des droits humains. L’importance de garder ces informations confidentielles pour des raisons liées à la sécurité nationale, comme l’avance le gouvernement, doit être comparée à la mesure dans laquelle les informations divulguées sont liées à des actes répréhensibles ou d’autres informations d’intérêt public, et la divulgation de ces informations doit être raisonnable au regard des circonstances et doit être faite en toute bonne foi.
Le chef d’accusation le plus grave porté contre Chelsea Manning était « collusion avec l’ennemi », accusation sur la base de laquelle le gouvernement a essayé de s’appuyer pour prouver qu’elle avait délibérément aidé Al Qaïda et qu’elle avait provoqué la publication sur Internet d’informations secrètes. Ces accusations étaient passibles de la peine de mort, même si le parquet avait indiqué qu’il ne demanderait pas la peine capitale. Cependant, Chelsea Manning risquait toujours la réclusion à perpétuité pour ces accusations, sans possibilité de libération conditionnelle, jusqu’à ce que le juge qui présidait son procès militaire la déclare non coupable de ce chef d’accusation.
Au titre du droit international relatif aux droits humains, le « but essentiel » d’un système pénitentiaire devrait être « l’amendement et le reclassement social » des détenus, et non la réparation. Les châtiments excessifs peuvent également constituer une privation arbitraire de liberté bafouant le droit à la liberté et peuvent représenter une peine cruelle, inhumaine ou dégradante bafouant le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention contre la torture, deux instruments que les États-Unis ont signés et ratifiés. En ce qui concerne la détermination des peines, tant la jurisprudence américaine que celle relative aux droits humains soulignent l’importance de prendre ces décisions de manière individuelle pour chaque accusé.
Amnesty International reconnaît que le gouvernement a le droit et le devoir de demander des comptes aux membres de l’armée ayant enfreint le droit militaire et ayant porté atteinte à la sécurité. Cependant, toutes les mesures mises en place doivent être compatibles avec les obligations du gouvernement au titre du droit international relatif aux droits humains et des normes en la matière. L’organisation estime qu’il existe des éléments qui, considérés dans leur ensemble, représentent de solides arguments en matière de droits humains justifiant un allégement de la peine de Chelsea Manning.
Chelsea Manning doit être traitée avec clémence à la lumière des raisons pour lesquelles elle a agi et du traitement dont elle a fait l’objet au début de sa détention provisoire et des manquements aux procédures légales pendant son procès. Sa peine doit être commuée, elle doit être libérée immédiatement et le gouvernement doit ouvrir une enquête sur les responsables des exactions qu’elle a révélées au lieu de punir Chelsea Manning pour les avoir divulguées.