Avant l’occupation et l’annexion illégale de la Crimée par la Russie en 2014, Emir-Usein Kuku travaillait pour l’administration locale des villes côtières de Haspra et de Yalta. À la suite de l’annexion, plusieurs Tatars de Crimée et d’autres militants pro-Ukraine ont disparu et des informations fiables indiquent qu’ils ont été victimes de disparitions forcées aux mains de membres de groupes paramilitaires pro-russes ou des autorités de facto.
Emir-Usein Kuku a démissionné et a rejoint le Groupe de contact de Crimée pour les droits de l’homme, une initiative lancée par les proches de personnes disparues dans le but de demander une enquête efficace sur ces disparitions. Il a été harcelé par le Service fédéral de sécurité russe (FSB) à plusieurs reprises et a dénoncé les tentatives de ce service de le recruter en tant qu’informateur. Des membres du FSB ont effectué plusieurs descentes à son domicile.
Vers 8 h 30 le 20 avril 2015, alors qu’Emir-Usein Kuku partait de chez lui pour se rendre au travail, deux hommes inconnus l’ont pris à revers, l’ont fait tomber au sol et l’ont roué de coups de pied et de poing au visage, au torse et aux reins. Puis, devant plusieurs témoins, ces hommes ont traîné Emir-Usein Kuku dans une camionnette et sont partis. Environ une heure plus tard, deux camionnettes dans lesquelles se trouvaient des dizaines d’hommes armés encagoulés sont arrivées au domicile de la famille avec Emir-Usein Kuku. L’un des hommes s’est présenté comme un agent du FSB et a montré un mandat de perquisition. Les hommes ont saisi des appareils électroniques tels que des tablettes et des téléphones portables ainsi que plusieurs livres religieux. Après la perquisition, Emir-Usein Kuku a été conduit aux bureaux du FSB à Yalta, il a été interrogé et on lui a demandé de devenir informateur.
Il a été libéré plus tard le jour même. Emir-Usein Kuku a consulté un médecin pour que ses blessures soient constatées et a essayé de déposer une plainte pour son passage à tabac auprès de la police locale le lendemain. Le 1er mai, la police l’a informé que sa plainte allait être classée sans suite pour cause d’« absence d’éléments de preuve » (za otsutsviem sostava prestupleniya). En août 2015, il a été convoqué par le Comité d’enquête de Yalta qui l’a informé que le FSB avait à son tour déposé une plainte selon laquelle Emir-Usein Kuku avait attaqué deux de ses agents.
Le 11 février 2016, vers 6 h 30, le FSB a effectué une nouvelle descente au domicile de la famille. Après avoir fouillé la maison pendant environ quatre heures, ils ont de nouveau saisi des appareils électroniques et des livres religieux. Emir-Usein Kuku a été emmené pour être « à nouveau interrogé » et a été déclaré suspect au motif qu’il ferait partie du groupe Hizb ut-Tahrir. Le 12 février, le tribunal du district de Kievski à Simferopol, la capitale de la Crimée, a approuvé son placement en détention provisoire. S’il est reconnu coupable il risque jusqu’à 20 ans d’emprisonnement.
Emir-Usein Kuku nie être membre du groupe Hizb ut-Tahrir. Quoi qu’il en soit, si le fait de faire partie de ce mouvement est illégal en Russie, ce n’est pas le cas en Ukraine. Au titre du droit international humanitaire, la Russie, puissance occupante en Crimée, doit poursuivre les accusés dans la péninsule devant des tribunaux civils conformément au droit ukrainien. Les poursuites engagées contre Emir-Usein Kuku et son arrestation pour appartenance à une organisation extrémiste sont sans fondement et semblent être des représailles pour son travail de défense des droits humains et son refus de coopérer avec les autorités de facto.
Amnesty International a recueilli des informations sur une répression grandissante des droits humains en Crimée depuis son annexion par la Russie en mars 2014 (https://www.amnesty.org/en/documents/eur50/1129/2015/en/). La communauté des Tatars de Crimée, dont beaucoup de membres se sont ouvertement opposés à l’annexion, a été particulièrement touchée par les nouvelles restrictions imposées à l’exercice du droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.
Plusieurs Tatars de Crimée et d’autres militants pro-Ukraine ont été soumis à des disparitions forcées. Cas le plus récent, Ervine Ibraguimov, militant tatar de Crimée, a disparu près de son domicile le 24 mai 2016 (https://www.amnesty.org/fr/documents/eur50/4121/2016/fr/). Des images de vidéosurveillance filmées à proximité ont montré un groupe d’hommes le forçant à entrer dans une camionnette et le véhicule s’éloigner.
Ni sa disparition forcée, ni celles d’autres personnes en Crimée n’ont fait l’objet d’une enquête efficace. Rechat Ametov, l’une des victimes, a été emmené de force par des paramilitaires des forces d’autodéfense de Crimée pro-russes alors qu’il participait à un piquet de grève devant le Conseil des ministres de Crimée le 3 mars 2014. Le 15 mars, son corps a été retrouvé et portait des marques de torture et de mauvais traitements.
Une vidéo montrant son enlèvement, dans laquelle ses ravisseurs sont clairement visibles, est disponible en ligne. Aucun d’entre eux n’a été identifié et ce crime n’est toujours pas élucidé. Le sort des autres victimes de disparitions forcées en Crimée et le lieu où elles se trouvent restent indéterminés. De plus, un certain nombre de Tatars de Crimée sont morts dans des circonstances suspectes. Plusieurs avaient été enlevés, mais les circonstances de leur mort, qui a été considérée comme le résultat d’un suicide ou d’un accident, n’ont pas fait l’objet d’une enquête efficace.