Située dans le nord-est de la Colombie, dans le département du Norte de Santander, la région du Catatumbo s’étend entre les Andes orientales et les environs du lac Maracaibo, au Venezuela. Il s’agit d’une région riche en ressources naturelles, en particulier en pétrole, où l’extrême pauvreté, les degrés élevés de militarisation et de violence, ainsi que le manque d’accès à des services de santé, à l’alimentation, à l’éducation, à l’eau et au logement ont créé un environnement hostile pour les responsables associatifs et les activités de défense des droits humains. Cette région manque par ailleurs d’infrastructures et de liens avec le reste de la Colombie, et demeure l’un des principaux lieux de culture de feuilles de coca et de production de cocaïne dans le pays.
Amnesty International recense depuis plusieurs années des violences visant les défenseur·e·s des droits humains dans cette région, visant en particulier le Comité d’intégration sociale du Catatumbo (CISCA). Depuis 2020, Amnesty International souligne que le travail du CISCA en faveur des droits humains a été entravé par deux facteurs de risques collectifs majeurs : le degré élevé de violence dans sa zone d’influence, en particulier contre les dirigeant·e·s associatifs, et les mesures d’éradication forcée des cultures de feuilles de coca. Amnesty International reconnait par ailleurs que l’extrême pauvreté et les entraves aux droits économiques et sociaux créent un environnement tendu et hostile dans la région, en particulier pour les dirigeant·e·s associatifs.
L’organisation a constaté au mois de juillet 2023 que les autorités colombiennes avaient mis fin aux opérations d’éradication forcée des feuilles de coca et qu’il y avait une diminution relative de l’activité militaire dans la région, tant de la part des forces de sécurité de l’État que des groupes armés, mais la militarisation de longue date et l’impact humanitaire du conflit armé n’ont pas permis de favoriser un environnement sûr pour la mobilisation sociale et les activités de défense des droits humains, d’autant que les agissements des groupes armés se sont poursuivis, voire intensifiés, dans les régions voisines.
Depuis la mi-janvier 2025, des affrontements armés ont éclaté entre l’Armée de libération nationale (ELN) et des groupes dissidents des anciennes Forces armées révolutionnaires de Colombie - Armée du peuple (FARC-EP), connus sous le nom d’État-major général des blocs et des fronts (EMBF), avec de forts impacts négatifs sur la population civile.
Le 18 janvier, le Bureau de la défenseure du peuple a signalé 60 homicides dans les municipalités de Convención, Ábrego, Teorama, El Tarra, Hacarí et Tibú, des déplacements forcés de peuples autochtones et de communautés paysannes, et a souligné le risque particulier auquel sont exposés les défenseur·e·s des droits humains, les responsables de la société civile et les anciens membres des FARC-EP démobilisés en 2016, compte tenu des déclarations publiques faites par l’ELN à leur égard.
Le 18 février, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a signalé qu’environ 80 000 personnes étaient concernées (dont au moins 47 000 enfants et 4 600 réfugié·e·s vénézuéliens) ; 52 000 d’entre elles ont été déplacées de force et 8 600 sont toujours confinées de force. Le HCR a déclaré que les affrontements entre groupes armé, et entre ceux-ci et les forces colombiennes de sécurité se poursuivaient, ce qui risque d’entraîner de nouveaux homicides, des déplacements forcés de masse, des confinements forcés et des disparitions forcées.
Les autorités colombiennes ont affirmé que leur priorité était la protection de la population civile, et ont procédé à des évacuations d’urgence. Les organisations de défense des droits humains du Catatumbo et au niveau national ont adressé des mises en garde contre le risque représenté par une réponse militarisée à cette crise, lançant des appels à la paix, au respect du droit humanitaire international, visant à inciter le président Petro à soutenir et mettre en œuvre des solutions structurelles basées sur une présence plus forte des institutions civiles de l’État, telles que le Pacte social pour la transformation territoriale du Catatumbo, qui a fait ces deux dernières années l’objet de discussions entre les représentants de l’État et la société civile locale, et finalement signé à Catatumbo le 6 mars.
Cependant, lors d’une réunion du conseil des ministres diffusée à la télévision nationale le 3 mars pour annoncer l’événement du 6 mars à Catatumbo, le président Petro a montré du doigt les organisations de la société civile de la région en déclarant qu’elles étaient « imprégnées » par les groupes armés, et « subordonnées » à ceux-ci, les mettant ainsi en danger. Les groupes armés accusent fréquemment la société civile locale de collaborer avec des factions rivales pour justifier les attaques contre elle. Le dénigrement des organisations sociales au niveau local s’est par ailleurs accru sur les réseaux sociaux ces dernières semaines.
Ces remarques du président, fermement condamnées par les groupes de défense des droits humains en Colombie, sont contraires aux préconisations internationales, notamment celles de la Commission interaméricaine des droits de l’homme qui, dans la cinquième recommandation de son deuxième rapport sur la situation des défenseur·e·s des droits humains dans les Amériques, déclare que « les représentants de l’État doivent s’abstenir de faire des déclarations qui stigmatisent les défenseur·e·s des droits humains ou qui laissent entendre que les organisations de défense des droits humains agissent de manière inappropriée ou illégale simplement parce qu’elles font leur travail de promotion et de protection des droits humains ».
Ce principe a été réaffirmé par la Cour constitutionnelle de Colombie dans l’arrêt SU-546 de 2023, qui a rappelé le devoir de l’État de favoriser un environnement exempt de stigmatisation et de s’abstenir d’y contribuer. Le président Petro a même contredit sa propre directive présidentielle 07 du 13 décembre 2023, qui demandait à l’ensemble du gouvernement colombien de soutenir et de reconnaître le travail des défenseur·e·s des droits humains.
Depuis le début de cette crise, Amnesty International a appelé à la protection de la population civile dans une première Action urgente et dans une déclaration publique.