À la mi-octobre 2019, des millions de personnes sont descendues dans la rue à travers le Chili afin de revendiquer l’égalité et le respect des droits sociaux et économiques, notamment des retraites adéquates, l’accès au logement, à une éducation publique de qualité et à des soins de santé. Le président Sebastian Piñera a réagi en décrétant l’état d’urgence, et a déployé l’armée et la police afin d’étouffer le mouvement de protestation. Amnesty International a envoyé une équipe de crise dans le pays, et a recensé des violations des droits humains et même des crimes au regard du droit international perpétrés par les forces de sécurité.
Après avoir enquêté pendant un an, Amnesty International a mis en avant dans un rapport 12 affaires emblématiques d‘homicides, de torture et de blessures imputés à des membres des Carabineros entre le 18 octobre et le 30 novembre, notamment les actes de torture qu’aurait subis Moisés Órdenes. Ce document a tiré des conclusions sur la responsabilité présumée du commandement des Carabineros dans les violations des droits humains ayant eu lieu sous son contrôle.
Lundi 21 octobre 2019 vers 20 h 40, Moisés Órdenes, 55 ans, manifestait de manière pacifique à proximité de la place Ñuñoa, dans la commune de Ñuñoa (Région métropolitaine de Santiago). Moisés Órdenes donnait des coups de cuillère en bois sur une poêle à frire, et filmait sur son téléphone tandis que la manifestation qui s’était déroulée tout au long de l’après-midi commençait à se disperser.
Soudain, et sans aucune provocation, un groupe de fonctionnaires des Forces spéciales (FFEE) a commencé à s’en prendre violemment à lui, en le poussant puis en le rouant de coups de matraque anti-émeutes. Moisés Órdenes a reçu un grand coup de pied dans le dos, qui l’a fait vaciller puis tomber face contre terre.
Ces représentants de l’État ont continué à le frapper à coups de poing, de pied et de matraque au visage, sur la tête et sur le reste de son corps tandis qu’il était à terre ; cela a été diffusé en direct par les caméras de la chaîne télévisée Chilevisión. Lorsqu’il est parvenu à se relever, le visage saignant abondamment, les fonctionnaires l’ont arrêté et fait monter à bord d’un fourgon de police.
Vers 21 h 40, Moisés Órdenes a été transporté aux urgences de l’hôpital El Salvador, où les lésions suivantes ont été relevées : traumatismes divers, dont « a. œil gauche clos, traumatisme grave ; b. traumatisme thoracique fermé associé à des contusions sur le côté gauche ; c. fracture à l’incisive centrale gauche ; d. luxation antérieure de l’épaule gauche (réduite) ; fracture comminutive du nez non déplacée (côté gauche) ; i. fractures des côtes (9-10-11) et petit pneumothorax sur le côté gauche ». Moisés Órdenes a alors passé neuf jours à l’hôpital El Salvador. Le 20 novembre, il a dû y retourner pour une perforation du poumon. Il a enfin pu sortir de l’hôpital le 10 décembre. Ces violences ont causé la perte de son œil gauche et un décollement de la rétine à l’œil droit, ainsi que d’autres blessures sur son corps.
Dans le cadre de son enquête initiale, le parquet a identifié les 13 fonctionnaires ayant participé à l’agression, les a inculpés d’actes de torture ayant provoqué de graves blessures. Cinq d’entre eux ont été accusés d’avoir activement torturé Moisés, et huit d’avoir permis à des actes de torture d’être perpétrés, et de n’avoir rien fait pour s’y opposer. L’officier à la tête de l’opération était un lieutenant qui dirigeait la 2e section du 28e poste de police des Forces spéciales (FF33 43-02). Il est l’un des hommes ayant roué Moisés Órdenes de coups.
Sur les 13 fonctionnaires accusés de torture, 11 ont également été inculpés de falsification de documents publics, du fait des informations incorrectes qu’ils ont fournies en relation avec la plainte et des déclarations qu’ils ont faites dans le cadre de la procédure administrative, et d’entrave à l’enquête, en raison de leur manque de coopération durant les investigations et de leurs déclarations contradictoires.
Le 1er décembre 2022, le parquet a annoncé sa décision de poursuivre l’enquête sur sept de ces fonctionnaires. Le 5 décembre, le procureur adjoint spécialisé dans le crime organisé et les infractions complexes au bureau de l’est de la Région métropolitaine de Santiago a fait état de sa décision de renoncer à enquêter sur ces sept fonctionnaires, malgré les affirmations de la famille et de l’avocat de Moisés Órdenes selon lesquelles des investigations supplémentaires restaient à effectuer.