Amnesty International a examiné un exemplaire des documents judiciaires relatifs au procès de Qahraman Shukri le 23 juin 2021, ainsi que le jugement rendu par la Cour de Cassation le 12 octobre 2023. Qahraman Shukri a été déclaré coupable d’avoir « rejoint une organisation non autorisée dans la région [du Kurdistan], coopéré avec elle et espionné pour son compte les appareils de sécurité et du parti, les peshmergas [forces armées du gouvernement de la région du Kurdistan irakien] et les forces de sécurité intérieure », mais aussi d’avoir « transmis des enregistrements audio de responsables de la région à des membres de l’organisation ainsi qu’à des éléments qui la soutiennent, et d’avoir pris des photos et filmé des vidéos de sites des services de sécurité et des peshmergas, et de les avoir envoyées à l’organisation interdite ».
Qahraman Shukri a été reconnu coupable d’avoir enfreint la Loi n° 21 de 2003 promulguée par le Parlement de la région du Kurdistan, qui dispose que « toute personne qui, de quelque manière que ce soit, commet délibérément un acte dans l’intention de porter atteinte à la sécurité, à la stabilité et à la souveraineté des institutions de la région du Kurdistan irakien, et qui produit l’effet escompté, est passible d’une peine de réclusion à perpétuité ou d’une durée déterminée ». Avant d’être arrêté, il avait critiqué l’inaction des autorités de la région du Kurdistan irakien face aux frappes turques qui ont touché ce territoire.
Amnesty International relève une tendance du gouvernement régional du Kurdistan à exercer une répression et à bafouer le droit à la liberté d’expression, y compris en arrêtant et en poursuivant des journalistes sur la base de fausses accusations et en les condamnant à l’issue de procès iniques. Un mois après l’arrestation de Qahraman Shukri, le 16 février 2021, le tribunal pénal d’Erbil a condamné cinq autres journalistes et militants à six ans d’emprisonnement, à l’issue d’un procès manifestement inique, pour des infractions analogues, à savoir : « espionnage pour le compte d’acteurs étrangers ; transmission au Parti des travailleurs kurdes (PKK) d’informations sensibles ; mise en danger de la vie de hauts responsables régionaux du Kurdistan et de responsables étrangers en recueillant des informations à leur sujet ; et collecte d’armes dans l’intention de les procurer à un groupe armé non identifié. »
Amnesty International a examiné un exemplaire du jugement, qui indique également que ces cinq hommes ont été condamnés à des peines d’emprisonnement en vertu des dispositions de l’article premier de la Loi n° 21 de 2003.
Le procès de 2021 visant ces cinq journalistes et militants a été marqué par de graves violations du droit à un procès équitable, notamment par des allégations de torture qui n’ont pas fait l’objet d’une enquête, l’utilisation d’aveux extorqués sous la torture pour condamner les accusés et le refus d’autoriser les avocats de la défense à accéder en temps voulu aux dossiers.
Le 2 mars 2022, Nechirvan Barzani, président du gouvernement régional du Kurdistan, a réduit les peines prononcées contre ces cinq journalistes et militants. L’affaire concernant Qahraman Shukri n’a pas été incluse dans les commutations. Trois de ces cinq détenus ont été libérés en mars 2023. Pour les deux autres, tous deux journalistes, alors que leurs dates de libération étaient imminentes, le parquet les a inculpés de nouvelles infractions fallacieuses destinées à les maintenir derrière les barreaux. L’un des deux a depuis lors été remis en liberté. Avant leur arrestation, leur journalisme traitait de questions liées aux droits humains, à la liberté d’expression et à la lutte contre la corruption dans la région du Kurdistan irakien.