Le 15 mars 2025, le président Donald Trump a invoqué la Loi sur les ennemis étrangers (Alien Enemies Act, 50 USC 21), accusant le gang criminel Tren de Aragua (TdA) de « perpétrer, tenter et menacer une invasion ou une incursion prédatrice contre le territoire des États-Unis » et avertissant que « les citoyens vénézuéliens âgés de 14 ans ou plus qui sont membres de TdA, se trouvent sur le territoire des États-Unis et ne sont pas naturalisés ou résidents permanents légaux des États-Unis sont susceptibles d’être appréhendés, retenus et expulsés en tant qu’ennemis étrangers ».
La loi sur les ennemis étrangers accorde ce pouvoir au président uniquement en temps de guerre en cours ou imminente contre un autre pays. Jusqu’à présent, elle n’a été invoquée qu’en trois occasions, toujours au cours d’une guerre déclarée ou dans les jours qui ont suivi. La dernière fois, ce fut pour détenir plus de 120 000 Nippo-Américains dans des camps d’internement aux États-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le 15 mars, une action collective a été déposée au nom de cinq Vénézuéliens risquant d’être expulsés en vertu de la proclamation présidentielle relative à la Loi sur les ennemis étrangers. La cour fédérale de district de Washington D.C. a rendu une ordonnance restrictive temporaire en faveur des plaignants et a prévu une audience afin d’examiner l’extension de cette ordonnance au groupe de population décrit.
Plus tard dans la journée, la cour a certifié à titre préliminaire un groupe – étendant l’ordonnance restrictive temporaire à toutes les personnes détenues désignées dans la proclamation – et a ordonné au gouvernement de faire faire demi-tour à tous les vols à destination du Salvador. Le gouvernement a fait appel de l’ordonnance restrictive auprès de la cour fédérale de district de D.C., qui l’a maintenue. Il a désormais formé un recours devant la Cour suprême.
Le 16 mars, au lendemain de l’émission de ces ordonnances, le gouvernement a illégalement expulsé 238 personnes vers le Centre de confinement du terrorisme (Centro de Confinamiento Contra el Terrorismo, CECOT), une prison tristement célèbre au Salvador, en vertu de la prétendue autorité de la loi sur les ennemis étrangers.
Le 30 mars, 17 autres personnes, des ressortissants du Salvador et du Venezuela, ont été expulsées au Salvador. Selon les informations publiques disponibles, parmi ces personnes, certaines avaient entamé une procédure juridique, d’autres ont été arrêtées alors qu’elles respectaient leurs obligations en matière d’immigration, bénéficiaient déjà de protections aux États-Unis, notamment au titre de la Convention contre la torture, ou ont été classées dans la catégorie des membres de gangs en raison de leurs tatouages ou de leurs liens avec l’État vénézuélien d’Aragua, sans aucune autre preuve.
De fait, même les agents du Service de contrôle de l’immigration et des douanes (ICE) ont depuis admis que « beaucoup » n’avaient aucun casier judiciaire et que certains ont été expulsés parce qu’on pensait qu’ils pourraient commettre des délits à l’avenir. Il est important de noter qu’il ne s’agit pas en l’occurrence d’éloignement du territoire, une procédure légale définie par le droit américain. Les personnes expulsées le 16 mars l’ont été sans arrêtés d’expulsion, semble-t-il pour purger une peine de prison d’une durée indéfinie dans le cadre d’un système où les droits fondamentaux sont régulièrement bafoués.
En outre, leurs proches n’ont reçu aucune communication officielle confirmant leur renvoi au Salvador et l’ont appris grâce à des photos et des vidéos partagées en ligne, et à une liste de noms publiée par la presse. Ces personnes ont été retirées de l’application de localisation du Service de contrôle de l’immigration et des douanes (ICE), et leur localisation « officielle » actuelle est donc inconnue.
Amnesty International a recueilli de nombreuses informations sur les conditions inhumaines dans les centres de détention au Salvador, notamment au CECOT, où les personnes expulsées sont désormais enfermées.
Selon certaines informations, la surpopulation extrême, le manque d’accès aux soins médicaux adéquats et les mauvais traitements généralisés s’apparentent à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Par ailleurs, des organisations salvadoriennes ont signalé plus de 300 personnes mortes en détention, dont certaines présentaient des signes évidents de violence. Nul ne devrait être soumis à de telles conditions.
Le principe de non-refoulement, pierre angulaire du droit international relatif aux droits humains, interdit sans équivoque aux États de renvoyer, d’expulser ou de transférer des personnes vers un pays où elles seraient exposées à un risque réel de subir de graves violations des droits humains, notamment la détention arbitraire, la torture ou les mauvais traitements.
En renvoyant des personnes au Salvador dans ces circonstances, les États-Unis les ont mises en grave danger et ont enfreint leurs obligations légales. Parallèlement, le Salvador doit rendre des comptes pour avoir facilité une politique qui viole les droits des personnes migrantes et en quête de sécurité. Toute expulsion ultérieure de ces personnes du Salvador vers le Venezuela violerait également le principe de non-refoulement.
Le gouvernement américain doit ramener sans délai les personnes expulsées illégalement au Salvador afin qu’elles puissent poursuivre leur procédure d’immigration aux États-Unis, et suspendre toute nouvelle expulsion, conformément aux décisions de la justice américaine.