Écrire Une figure de l’opposition condamnée à deux ans de prison

Le 5 août 2024, le tribunal de première instance de Tunis a condamné la figure de l’opposition Abir Moussi à deux ans de prison en vertu du décret-loi n° 54 à la suite d’une plainte déposée par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) au motif qu’elle avait critiqué le processus des élections législatives.

Depuis le 3 octobre 2023, Abir Moussi est maintenue en détention arbitraire pour des accusations de « tentative de changement de la forme du gouvernement », « incitation à la violence sur le territoire tunisien » et « agression dans le but de provoquer le désordre » en vertu de l’article 72 du Code pénal, après qu’elle eut tenté de déposer un appel contre les décrets présidentiels à la veille des élections locales.

Abir Moussi fait l’objet d’autres accusations dans le cadre de procédures judiciaires distinctes liées à l’exercice de ses droits aux libertés d’expression et de réunion pacifique.

Les autorités tunisiennes doivent la libérer immédiatement et abandonner les charges qui pèsent sur elle, car elles découlent uniquement de l’exercice de ses droits aux libertés d’expression et de réunion pacifique.

Abir Moussi, avocate âgée de 48 ans, est la présidente du Parti destourien libre (PDL) et une farouche opposante politique du président Kaïs Saïed. Elle a été membre du Parlement de 2019 à 2021. Le 5 août 2024, le tribunal de première instance de Tunis l’a condamnée à deux ans de prison en vertu du décret-loi n° 54 à la suite d’une plainte déposée par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) au motif qu’elle avait critiqué le processus des élections législatives.

Le 3 octobre 2023, quelques jours après avoir exprimé son intérêt pour une candidature à la prochaine élection présidentielle, Abir Moussi a été arrêtée par les forces de sécurité devant un bureau de l’administration publique annexé au Palais présidentiel à Carthage, au nord-est de Tunis. Elle souhaitait déposer un recours contre les décrets présidentiels auprès de l’administration compétente, mais en a été empêchée. Afin de dénoncer ce refus arbitraire, elle est restée devant le bâtiment de l’administration jusqu’à la fin de la journée de travail et a diffusé la scène en direct sur Facebook.

Selon des témoins et ses avocat·e·s, les forces de sécurité l’ont violemment interpellée et emmenée dans un lieu tenu secret pendant près de deux heures avant que les personnes qui la représentent légalement ne la localisent dans un poste de police à La Goulette, un quartier de la capitale Tunis. Ses avocat·e·s ont déclaré à Amnesty International qu’elle a été blessée lors de son arrestation, la police ayant usé d’une force excessive. Ils ont ajouté qu’ils n’avaient pas été autorisés à voir leur cliente pendant l’interrogatoire de police, en violation flagrante de ses droits à une procédure régulière, et n’avaient été informés que plus tard de la décision du ministère public de la maintenir en détention provisoire à l’issue des 48 heures de sa garde à vue. Selon eux, pendant sa première nuit de garde à vue, les policiers ont ignoré ses demandes concernant des médicaments qu’elle est censée prendre à une heure précise tous les jours, ce qui a entraîné des complications de santé qui l’ont conduite à l’hôpital quelques jours plus tard.

Le 5 octobre, un juge d’instruction a interrogé Abir Moussi au tribunal de première instance de Tunis et a ordonné son placement en détention provisoire pour des accusations de « tentative de changement de la forme du gouvernement », « incitation à la violence sur le territoire tunisien » et « agression dans le but de provoquer le désordre » en vertu de l’article 72 du Code pénal, ainsi que de « traitement de données personnelles sans le consentement de la personne concernée » et d’« interférence avec la liberté de travail », en vertu des articles 27 et 87 de la Loi sur la protection des données et de l’article 136 du Code pénal respectivement.

Le 30 janvier, ce juge d’instruction a décidé d’abandonner les poursuites relevant de l’article 72, mais a maintenu Abir Moussi en détention provisoire au titre des deux autres accusations. Toutefois, le parquet a fait appel de cette décision. Les charges sont en cours de réexamen.

Entre décembre 2022 et mars 2023, l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) a déposé quatre plaintes contre Abir Moussi auprès du procureur général de Tunis, en vertu du décret-loi n° 54. Elles sont toutes fondées sur des déclarations publiques faites par Abir Moussi au sujet des élections locales et législatives organisées par l’ISIE entre décembre 2022 et février 2023. Elle a accusé l’ISIE d’avoir commis des violations compromettant l’intégrité des élections et a plusieurs fois affirmé que l’ISIE et son président étaient responsables de fraudes électorales, car le processus électoral était « entaché de transgressions ». Selon ses avocat·e·s, ces quatre plaintes ont été attribuées à quatre juges d’instruction différents et évoluent en parallèle, au lieu d’être regroupées au sein d’une seule enquête comme le prévoit la loi.

Le 5 juillet 2024, un juge d’instruction a interrogé Abir Moussi dans le cadre de l’une des plaintes déposées contre elle par l’ISIE au sujet de déclarations publiques datant de novembre 2022 et janvier 2023, dans lesquelles elle affirmait que les élections législatives étaient « truquées » et que le nombre de député·e·s élus était incomplet.

Le juge a émis une ordonnance de détention provisoire contre Abir Moussi et l’a renvoyée devant les tribunaux en vertu de l’article 24 du décret-loi n° 54 pour « utilisation délibérée de réseaux et de systèmes d’information et de communication pour produire, promouvoir, publier, transmettre ou préparer de fausses nouvelles, déclarations, rumeurs ou documents artificiels, faussement attribués à autrui dans le but d’attaquer les droits d’autrui, de nuire à la sécurité publique ou à la défense nationale ou de semer la terreur parmi la population ».

Le 5 août, Abir Moussi a comparu devant le tribunal de première instance de Tunis. Son équipe de défense a demandé le report du procès à une date ultérieure pour mieux préparer la défense et a soumis cette requête au tribunal, accompagnée d’une demande de libération provisoire pour leur cliente, tout en présentant des arguments. Cependant, le juge a rejeté ces demandes et délibéré sur un verdict sans entendre les déclarations de la défense au sujet des accusations.

Un peu plus tard, le verdict a été annoncé : Abir Moussi a été condamnée à deux ans de prison en vertu de l’article 24 du décret-loi n° 54. Or, elle n’a pas commis d’infraction légitime justifiant des poursuites pénales et n’aurait pas dû être jugée ni condamnée pour l’exercice de son droit à la liberté d’expression ; en outre, les autorités judiciaires ont violé son droit à un procès équitable en la privant du droit à la défense.

En vertu du droit international relatif aux droits humains, toute personne inculpée d’une infraction pénale doit bénéficier des garanties d’un procès équitable.

Le Décret-loi n° 54 va à l’encontre des traités relatifs aux droits humains, notamment des dispositions de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auxquels la Tunisie est partie. L’article 9 de la Charte et l’article 19 du PIDCP garantissent le droit à la liberté d’expression. Les restrictions imposées aux droits sur la base de termes ambigus et très généraux tels que « fausses nouvelles » et les dispositions répressives de la loi relative à la cybercriminalité ne répondent pas aux exigences de légalité, de nécessité et de proportionnalité.

Abir Moussi fait également l’objet de poursuites pénales en vertu des articles 15, 245, 220 et 306 du Code pénal à la suite d’une plainte déposée par l’Union internationale des savants musulmans, le 10 mai 2022, après deux manifestations organisées devant son bureau à Tunis. La plainte mentionne « l’endommagement des biens d’autrui, le vol, la diffamation, la diffusion de fausses nouvelles pour faire croire à d’autres qu’il existe un acte criminel puni par la loi qui vise à nuire aux personnes et aux biens, et l’intimidation en criant dans les lieux publics et les réunions ». Abir Moussi a été entendue par un juge d’instruction le 12 juin 2024.

En vertu du droit international relatif aux droits humains, la diffamation doit être traitée comme une question relevant du civil, et non du pénal, et ne doit jamais être sanctionnée d’une peine d’emprisonnement. Les fonctionnaires ou autres personnes qui veulent demander réparation dans une affaire de diffamation doivent le faire devant un tribunal civil, et non pénal.

Le 25 juillet 2021, le président Kaïs Saïed s’est octroyé des pouvoirs d’exception prévus selon lui par la Constitution tunisienne de 2014.

Depuis février 2023, la situation des droits humains en Tunisie se dégrade rapidement, tandis que plusieurs figures de l’opposition sont prises pour cibles. Des enquêtes pénales ont été ouvertes contre au moins 74 figures de l’opposition et autres personnes considérées comme des ennemis du président, dont au moins 44 sont accusées d’infractions liées à l’exercice pacifique de leurs droits fondamentaux. Cette répression contre l’opposition menace les droits humains, notamment les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique en Tunisie, garantis par les articles 19, 21 et 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), et par les articles 9, 10 et 11 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, auxquels la Tunisie est partie.

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