Écrire Il faut s’opposer au transfert de détenus à Guantánamo

Les autorités américaines se préparent à d’éventuels transferts de détenus vers la base navale américaine de Guantánamo Bay, à Cuba. Le président Trump a ordonné au ministre de la Défense de formuler des recommandations à ce sujet d’ici au 30 avril. Le dernier transfert de détenus vers cette base remonte à 2008.

Le 30 janvier 2018, le président Donald Trump a signé un décret abrogeant celui dans lequel son prédécesseur, en 2009, avait ordonné la fermeture du centre de détention de Guantánamo Bay. Le nouveau décret dispose que les détentions « se poursuivront » et que « de plus, les États-Unis pourront transférer des détenus supplémentaires » à Guantánamo « lorsque cela est licite et nécessaire pour protéger la Nation ». Le ministre de la défense, en concertation avec d’autres agences exécutives, doit élaborer d’ici au 30 avril des recommandations « relatives au traitement des personnes capturées en lien avec un conflit armé, notamment des directives régissant le transfert de personnes vers la base navale américaine de Guantánamo Bay ». Dans un discours tenu peu après la signature du décret, le président Trump a déclaré qu’il cherchait à amener le Congrès à agir « pour veiller à ce que, dans la lutte contre l’État islamique en Irak et en Syrie et contre Al Qaïda, nous continuions à avoir tous les pouvoirs nécessaires pour arrêter les terroristes où que nous les pourchassions, où que nous les trouvions. Et dans de nombreux cas, pour eux, ce sera maintenant Guantánamo Bay. »

Alexanda Kotey et El Shafee Elsheikh sont deux détenus dont le transfert à Guantánamo serait envisagé. Il s’agit de membres présumés du groupe armé autoproclamé État islamique qui sont aux mains des forces démocratiques syriennes soutenues par les États-Unis depuis leur arrestation en Syrie début février 2018. Le département d’État des États-Unis a qualifié ces deux hommes de « terroristes mondiaux expressément désignés » au début de l’année 2017. Ils font tous deux l’objet de négociations diplomatiques entre les États-Unis et le Royaume-Uni. Alexanda Kotey est né au Royaume-Uni et El Shafee Elsheikh a grandi dans ce pays. Les autorités du Royaume-Uni les auraient déchus de la nationalité britannique, et on ignore si le Royaume-Uni sera disposé à accepter les deux hommes sur son sol pour qu’ils y soient jugés. Un responsable du département d’État américain a déclaré que l’administration envisageait de les transférer à Guantánamo, et le ministère de la Justice examinerait la possibilité de les faire venir aux États-Unis pour qu’ils y soient jugés par un tribunal fédéral, éventuellement pour des crimes passibles de la peine capitale.

Amnesty International considère que les détentions à Guantánamo sont contraires aux obligations qui incombent aux États-Unis en vertu du droit international relatif aux droits humains. Elle demande depuis longtemps que toutes les personnes qui y sont incarcérées soient traduites en justice dans le cadre d’un procès équitable ou libérées, que le système des procès devant des commissions militaires soit abandonné car il ne satisfait pas aux normes internationales d’équité, et que le centre de détention soit fermé. Amnesty International est opposée à la peine de mort en toutes circonstances.

Les placements en détention à Guantánamo ont débuté le 11 janvier 2002, dans le contexte de ce que le président George W. Bush a qualifié de « guerre contre le terrorisme » après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Au total, 779 personnes y ont été incarcérées, les transferts vers la base diminuant progressivement en raison de la réprobation qu’ils ont suscitée à l’échelle mondiale : 632 y ont été emmenées en 2002, 117 en 2003, 10 en 2004, aucune en 2005, 14 en 2006, cinq en 2007 et une seule en 2008. Aucun nouveau détenu n’est arrivé à Guantánamo depuis le 14 mars 2008. Le 22 janvier 2009, le président Barack Obama a signé un décret ordonnant à son administration de mettre fin aux détentions et de fermer le centre. Il n’a pas réussi à atteindre cet objectif, et le centre comptait encore 41 détenus au moment de l’investiture du président Trump, qui s’était engagé, pendant sa campagne, à le maintenir ouvert et à le « remplir de sales types ». Un an plus tard, ces 41 détenus s’y trouvent toujours ; certains sont incarcérés à Guantánamo depuis plus de 16 ans, tous depuis plus de 10 ans, et la plupart d’entre eux n’ont été ni jugés, ni même inculpés (pour en savoir plus, voir le document suivant - en anglais -, https://www.amnesty.org/en/documents/amr51/7822/2018/en/).

Le décret du président Trump en date du 30 janvier 2018 réaffirme la position des États-Unis selon laquelle ces détentions se fondent notamment sur l’Autorisation de recours à la force armée (AUMF), résolution adoptée quasiment sans débat par le Congrès juste après les attentats du 11 septembre. Les tribunaux fédéraux américains ont confirmé la validité de l’AUMF en tant que source de droit autorisant les détentions. Le décret du président Trump affirme que l’AUMF « et d’autres sources faisant autorité ont autorisé les États-Unis à placer en détention certaines personnes ayant fait partie d’Al Qaïda, des talibans ou de forces associées engagées dans des hostilités contre les États-Unis ou contre ses partenaires de la coalition, ou leur ayant apporté un appui important. » Il indique également : « Aujourd’hui, les États-Unis restent engagés dans un conflit armé avec Al Qaïda, les talibans et des forces associées, y compris avec l’État islamique en Irak et en Syrie. » La question de savoir si les tribunaux américains considèreraient que l’AUMF s’applique à des détenus de l’État islamique envoyés à Guantánamo reste ouverte, étant donné qu’aucun de ces détenus n’a été transféré sur la base navale à ce jour.

Le fait que personne n’ait encore été envoyé à Guantánamo sous l’administration Trump pourrait être le signe d’une incertitude quant à l’existence d’un fondement en droit américain permettant le placement en détention de membres de l’État islamique sur la base navale en l’absence de « nouvel AUMF ». On ignore également à quel point le président Trump tient à relancer les transferts vers Guantánamo, malgré l’engagement qu’il a pris pendant sa campagne et le décret qu’il a adopté. À la question d’un journaliste qui lui demandait, en novembre 2017, s’il était favorable au transfert d’un homme soupçonné d’avoir commis un attentat à New York, le président a répondu : « je l’envisagerais certainement ». Le suspect a été inculpé et doit être jugé par un tribunal fédéral ; il reste en détention civile. Le président a relevé que la « procédure » à Guantánamo « pren[ait] beaucoup plus de temps que le passage par le système fédéral ». Autre sujet de préoccupation lourd de conséquences possibles, le président a appelé sur Twitter à la condamnation à mort du suspect de l’attentat de New York, message qui est venu s’ajouter à d’autres tweets contraires aux principes de l’état de droit. Dans le même temps, à Guantánamo, les procédures devant les commissions militaires connaissaient un nouvel imbroglio. Le 16 février 2018, un juge militaire a suspendu « indéfiniment » les procédures préliminaires dans l’affaire concernant Abd al Nashiri, passible de la peine capitale, à la suite du retrait des avocats chargés de sa défense, qui s’étaient dessaisis du dossier en dénonçant la surveillance exercée par les autorités sur les entretiens entre les avocats et leur client (pour plus d’informations, voir le document suivant - en anglais -, https://www.amnesty.org/en/documents/amr51/7413/2017/en/).

Amnesty International estime que toute personne soupçonnée, pour des raisons valables, d’être responsable de crimes relevant du droit international doit être traduite devant une juridiction civile et bénéficier d’un procès conforme aux normes internationales d’équité, sans recours à la peine de mort. Cela vaut également pour les combattants étrangers soupçonnés pour de telles raisons d’avoir commis des crimes relevant du droit international, comme des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité, pendant les conflits armés non internationaux en Irak et en Syrie. Pourvu qu’il y existe suffisamment de preuves recevables à leur encontre, ils doivent être traduits en justice et bénéficier d’un procès équitable, qui pourrait avoir lieu dans le cadre de tout système judiciaire disposant de la compétence nécessaire, que ce soit dans leur pays de nationalité, en Syrie, en Irak ou à La Haye, ou dans un pays tiers appliquant la compétence universelle pour ces crimes. Amnesty International est opposée à la peine de mort en toutes circonstances. Aujourd’hui, 142 pays sont abolitionnistes en droit ou en pratique, et les tribunaux internationaux établis pour juger les crimes les plus graves en droit international n’autorisent pas le recours à la peine de mort.

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