Ahmad Farhad est un journaliste pakistanais de 38 ans d’origine cachemirie qui a été enlevé par quatre hommes à son domicile d’Islamabad, à 1 heure du matin le 15 mai 2024 . Sa famille l’a vu être embarqué à bord d’un véhicule inconnu. La famille a déposé une requête en habeas corpus auprès de la haute cour d’Islamabad pour qu’Ahmad Farhad soit présenté devant un juge, et la police a ensuite ouvert une enquête sur l’ordre de la cour. La haute cour a ordonné à la police de lui rendre compte de l’état d’avancement de l’enquête. Le 17 mai, l’épouse d’Ahmad Farhad aurait reçu un appel des inconnus l’ayant enlevé, lui demandant de retirer sa requête devant la haute cour en échange de son retour. Il n’a pas été libéré après qu’une demande de retrait a été déposée par ses avocats le lendemain.
Il est réapparu le 29 mai à un poste de contrôle à Kohala, près de Muzaffarabad, dans l’Azad Cachemire, administré par le Pakistan. Il a été placé en détention et un procès-verbal introductif a été déposé contre lui au poste de police de Dhirkot, en vertu de l’article 186 du Code pénal de l’Azad Cachemire pour « entrave aux fonctions publiques exercées par un représentant de l’État ». Il a demandé une libération sous caution devant le juge des sessions de Muzaffarabad le 30 mai 2024, mais sa requête a été rejetée le 4 juin 2024.
Entretemps, il a été inculpé par le biais d’un procès-verbal introductif déposé au poste de police de la division de Bishmo, à Muzaffarabad, en date du 13 mai 2024. Il est notamment accusé de complot criminel (120-B), de participation à des émeutes (147/148), de rassemblement illégal (149), de tentative de meurtre (324), de violences visant à empêcher un représentant de l’État de s’acquitter de ses fonctions publiques (353), de destruction de biens (427/436) et de faits de terrorisme, en vertu de la Loi antiterroriste de 1997.
Le procès-verbal introductif a été déposé contre des « personnes inconnues » en relation avec la Longue marche du Cachemire, organisée par le Comité d’action Awami conjoint du territoire de Jammu-et-Cachemire, et revendiquant des droits économiques, une réduction des tarifs d’électricité, des subventions pour le blé et une augmentation de la fiscalité pour les groupes à revenu élevé, au cours de laquelle quatre personnes ont été tuées, dont un fonctionnaire de police.
Ahmad Farhad n’était pas présent lors des manifestations ; il en rendait cependant compte depuis Islamabad. Il a été impliqué dans l’affaire sur des allégations de publication de « contenu haineux sur les réseaux sociaux, en particulier Facebook », selon l’ordonnance de libération sous caution datée du 14 juin 2024.
Ahmad Farhad a été libéré sous caution le 14 juin 2024, alors que l’affaire faisait l’objet d’une enquête. Les charges retenues contre lui demeurent et l’enquête se poursuit.
Ahmad Farhad est un journaliste ayant 15 ans d’expérience, et a travaillé pour plus de 10 grandes chaînes d’information télévisées pakistanaises, dont Bol News, Hum News, Neo News et Capital TV. C’est également un poète ourdou renommé, qui aborde des thèmes politiques tels que les disparitions forcées dans son art. Il est actif sur les réseaux sociaux. Il critique ouvertement l’ingérence politique des forces armées au Pakistan et a été menacé par le passé en raison de son opposition. Au moment de son enlèvement il travaillait comme journaliste indépendant, après que plusieurs de ses anciens employeurs l’ont licencié du fait de pressions exercées par les autorités. Il était placé sous surveillance depuis deux ans et son ordinateur portable avait été saisi l’an dernier. Ahmad Farhad est père de quatre enfants, dont le plus jeune a quatre ans. Sa santé s’est détériorée durant sa disparition forcée. Il a visiblement perdu beaucoup de poids. Depuis sa libération, il se remet peu à peu.
Au Pakistan, les disparitions forcées sont un moyen de réduire au silence des journalistes, des défenseur·e·s des droits humains, des opposant·e·s et des groupes appartenant à des populations minoritaires, en particulier du Baloutchistan et de la province de Khyber Pakhtunkhwa. Il n’existe pas de loi criminalisant les disparitions forcées et l’État ne fait toujours pas respecter l’obligation de rendre des comptes. Les familles des personnes disparues sont régulièrement victimes de harcèlement, de surveillance et d’intimidation de la part de l’État parce qu’elles demandent des comptes au nom de leurs proches.
La pratique des disparitions forcées viole le droit à la liberté, le droit à un procès équitable et le droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Pakistan a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.