De multiples violations flagrantes des droits des prévenus à un procès équitable ont été constatées depuis le début de ce nouveau procès de masse le 7 décembre 2023, notamment l’orientation des témoignages par les autorités, la non-divulgation d’informations clés telles que les chefs d’inculpation exacts ou les articles de loi invoqués pour porter les accusations, les restrictions imposées aux avocats pour partager des documents relatifs à l’affaire avec les prévenus et leurs familles, et l’interdiction faite aux membres des familles d’assister aux audiences pendant le procès.
Un mois après le début du procès, le 6 janvier 2024, les autorités ont fini par annoncer sa tenue via l’agence de presse officielle WAM, en confirmant le nombre de personnes jugées et les chefs d’inculpation retenus contre elles pour « avoir créé une autre organisation clandestine dans le but de commettre des actes de violence et de terrorisme sur le territoire des Émirats arabes unis ». D’après les informations émanant des familles et de la déclaration publiée par WAM, les accusations semblent relever de la loi antiterroriste de 2014 et reposer sur l’appartenance présumée au Comité pour la justice et la dignité, une branche du mouvement al Islah, considéré comme la version émirienne de l’organisation des Frères musulmans.
Selon les termes de l’acte d’inculpation et du jugement de 2013 dans l’affaire des « 94 Émiriens » (voir ci-après-), ce Comité « a entrepris de sensibiliser la société à ses droits », « a publié des articles sur ces droits » et « s’est efforcé de communiquer avec des organisations internationales de défense des droits ».
Le 19 janvier 2024, de nombreux expert·e·s des Nations unies ont déclaré qu’ils étaient « extrêmement préoccupés par le fait que les nouvelles charges retenues contre au moins 84 membres de la société civile, notamment des défenseurs des droits humains, des militants et des opposants politiques, au titre de la loi antiterroriste de 2014, violent l’interdiction internationale de la double peine et de la rétroactivité de la loi pénale ». L’interdiction de la double peine est le principe légal selon lequel une personne ne peut être poursuivie ou sanctionnée une deuxième fois dans la même juridiction pour une infraction pénale pour laquelle elle a déjà été jugée.
En 2014, les Émirats arabes unis ont fermé de fait l’espace restreint dont disposait la dissidence dans le pays en arrêtant arbitrairement des dizaines de personnes émiriennes, notamment parmi celles qui avaient signé une pétition en mars 2011 afin de demander une réforme démocratique aux dirigeants du pays. En 2013, le procès collectif et d’une iniquité flagrante de 94 personnes, connu sous le nom de l’affaire des « 94 Émiriens », a abouti à la condamnation de 69 d’entre elles à des peines d’emprisonnement allant de sept à 15 ans, alors que la plupart n’avaient rien fait d’autre que réclamer des réformes et se prononcer en faveur de la démocratie.
En vertu du droit émirien de l’époque, le jugement était définitif et n’a pas pu faire l’objet d’un appel, en violation du droit international. Sur les 69 hommes condamnés, cinq l’ont été à sept ans d’emprisonnement, 56 à 10 ans et huit ont été condamnés à 15 ans de prison par contumace. Soixante des personnes emprisonnées dans le cadre de cette affaire demeurent détenues arbitrairement, bien qu’elles aient purgé leur peine.
Mohammed al Roken, éminent avocat spécialiste des droits humains et ancien président de l’Association des juristes des Émirats arabes unis, a été arrêté le 17 juillet 2012. Il a été condamné en juillet 2013 à 10 ans de prison, suivis de trois années de mise à l’épreuve, à l’issue du procès des « 94 Émiriens ». Il aurait dû être libéré le 17 juillet 2022.
Le défenseur des droits humains Ahmed Mansoor a été arrêté le 20 mars 2017 et condamné à 10 ans de prison en mai 2018. Il a été déclaré coupable de diverses infractions, notamment d’« atteinte au “statut et au prestige des Émirats arabes unis et de leurs symboles”, y compris de leurs dirigeants ». Il est maintenu en détention à l’isolement depuis son arrestation. Jusqu’à celle-ci, Ahmed Mansoor était l’une des seules voix indépendantes qui s’exprimaient encore contre les violations des droits humains depuis l’intérieur du pays, après la fin du procès collectif de 2013.
Le défenseur des droits humains Nasser bin Ghaith purge actuellement une peine de 10 ans de prison, prononcée contre lui le 29 mars 2017 par la Cour d’appel fédérale d’Abou Dhabi. Il avait été condamné pour divers chefs d’inculpation, notamment « publication de fausses informations » sur des dirigeants des Émirats arabes unis et leurs politiques, en raison de commentaires qu’il avait publiés sur X (Twitter) et dans lesquels il disait ne pas avoir bénéficié d’un procès équitable dans une affaire précédente concernant également quatre autres Émiriens. Au cours de son procès en 2017, les autorités ont limité ses contacts avec son avocat, ce qui l’a empêché de préparer correctement sa défense.