La Liberal Publishing House, officiellement et publiquement fondée le 14 février 2019, a publié une série de livres non fictionnels d’auteurs vietnamiens portant sur des sujets tels que les sciences politiques, les politiques publiques et d’autres questions sociales, comme Politique d’un État policier, La résistance non violente, La politique pour les gens ordinaires, La vie derrière les barreaux et Manuel pour les familles de prisonniers. Nombre de ces ouvrages sont considérés comme sensibles par le gouvernement et leur publication est interdite. Les autorités vietnamiennes censurent généralement les publications considérées comme contraires à la politique gouvernementale.
Depuis que la Liberal Publishing House a commencé son activité, la police a lancé plusieurs opérations d’infiltration pour tenter d’arrêter les personnes qui y travaillent. Elle a été victime de harcèlement en ligne et sa page Facebook a été la cible d’une attaque informatique coordonnée menée par des agents chargés des questions de cybersécurité : une unité militaire travaille en ligne et cible militant·e·s, défenseur·e·s des droits humains et dissident·e·s politiques. Son compte Facebook a alors été fermé en février 2019, le mois où la Liberal Publishing House avait été mise en ligne.
En juillet, trois banques différentes ont informé la maison d’édition que ses comptes bancaires allaient être clôturés, sans lui donner la moindre explication. La police a contraint des sociétés de transport à lui communiquer les noms et adresses des clients. Celles qui s’y sont refusées font fréquemment l’objet d’actes d’intimidation et de harcèlement, ainsi que d’une surveillance intrusive. En novembre 2019, le site de la maison d’édition (https://nhaxuatbantudo.com/), lancé peu de temps auparavant, a été la cible de plusieurs cyberattaques, dont l’objectif était de prendre le contrôle du site, et ce n’est qu’avec le support d’un expert informatique qu’il a pu continuer de fonctionner.
Depuis début octobre 2019, la police harcèle et intimide des dizaines de personnes liées à la Liberal Publishing House, dans le cadre de ce qui s’apparente à une campagne ciblée. Ce harcèlement a eu lieu dans au moins trois grandes villes, Hanoï, Ho Chi Minh-Ville et Hué, ainsi que dans les provinces de Binh Duong, Quang Binh, Quang Tri et Phu Yen. Les personnes prises pour cibles auraient acheté ou lu des livres de cette maison d’édition, ou travaillé pour elle.
Selon les informations recueillies par Amnesty International, des personnes se trouvant dans ces lieux ont été convoquées au poste de police local, où elles ont été interrogées sur des livres qu’elles avaient achetés à cette maison d’édition. La plupart d’entre elles ont ensuite subi des pressions destinées à leur faire signer des déclarations, dans lesquelles elles s’engageaient à ne plus acheter de livres de cet éditeur. Dans un cas, la police a arrêté un homme et l’aurait torturé en garde à vue le 15 octobre 2019 à Ho Chi Minh-Ville, dans le but de le contraindre à « avouer » qu’il travaillait pour cette maison d’édition. La police l’a retenu pendant plus de 12 heures, au cours desquelles on l’a battu à plusieurs reprises, au point de le faire saigner du nez. Craignant d’être de nouveau arrêté, cet homme est entré en clandestinité dès qu’il a été libéré.
Les 23 et 24 octobre 2019, un homme de la province de Phu Yen a reçu deux lettres de la police le convoquant au poste local pour l’interroger au sujet de la réception de livres « interdits ». Après l’avoir interrogé, la police a perquisitionné son domicile et a saisi des ouvrages publiés par la Liberal Publishing House. Début novembre, un homme travaillant occasionnellement pour cette maison d’édition est entré dans la clandestinité, de peur d’être arrêté – la police avait enjoint à son employeur habituel de l’informer la prochaine fois qu’il viendrait au bureau.
Récemment, le 8 mai 2020, la police d’Ho Chi Minh-Ville a arrêté et détenu Thủy Tuất, membre de la Liberal Publishing House pour avoir livré des livres à un client. Il a été détenu à partir de 9 heures ce jour-là jusqu’à 3 heures le lendemain matin. Pendant sa garde à vue, la police l’a interrogé au sujet de ses liens avec la maison d’édition et, selon la victime, l’a torturé. Les policiers frappaient Thủy Tuất à chaque fois qu’il n’arrivait pas à répondre à une question, ou que sa réponse ne leur plaisait pas. Ils lui auraient asséné des coups de poing au visage, dans les côtes, la poitrine et l’estomac, des coups de pied dans les tibias, et six policiers au moins lui auraient écrasé les orteils. Travaillant par deux, les agents se sont relayés plusieurs fois pendant l’interrogatoire. Une fois relâché, Thủy Tuất est immédiatement entré en clandestinité, alors qu’il était gravement blessé.
En 2019, au moins 19 personnes ont été arrêtées uniquement pour avoir exercé leur droit à la liberté d’expression au Viêt-Nam ; certaines ont été jugées et condamnées à des peines d’emprisonnement. Quatre autres ont été arrêtées pour la même en raison depuis le début de l’année 2020.