Safoora Zargar, étudiante chercheuse à l’Université Jamia Millia Islamia, Meeran Haider, membre du Comité de coordination de Jamia (JCC) et Shifa-Ur-Rehman, président de l’Association des étudiants de la Jamia Millia Islamia sont accusés d’avoir joué un rôle de « conspirateurs clés » dans les émeutes de Delhi de février 2020. Ils ont été arrêtés par la police de Delhi le 10 avril, le 2 avril et le 24 avril respectivement, et placés en détention au titre de la Loi relative à la prévention des activités illégales (UAPA).
La grossesse de Safoora Zargar est un facteur jouant contre son maintien en détention au titre de l’UAPA, particulièrement dans le contexte de la pandémie de COVID-19. Les Règles des Nations unies concernant le traitement des détenues et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquantes (Règles de Bangkok) recommandent qu’au moment de décider des mesures à appliquer à leur égard avant le procès, il faudrait privilégier pour les femmes enceintes les mesures non privatives de liberté lorsque cela est possible et approprié.
Le 22 février, des manifestants pacifiques ont occupé une portion de la route aux abords de la station de métro Jaffrabad, dans le nord-est de New Delhi, afin de protester contre la Loi portant modification de la loi sur la nationalité. Le lendemain, Kapil Mishra, dirigeant du Parti du peuple indien Bharatiya Janata (BJP), a tenu un discours provocateur et donné trois jours à la police de Delhi pour évacuer les manifestants à Jaffrabad. Peu après ce discours, des émeutes ont éclaté et des hindous ont attaqué des musulmans, ces violences causant la mort d’au moins 50 personnes.
Des vidéos qui ont été vérifiées ont montré des images de policiers jetant des pierres et frappant de jeunes musulmans. Dans l’une de ces vidéos, on voit des policiers forcer ces hommes à chanter l’hymne national alors qu’ils demandent aux policiers d’arrêter de les frapper. L’un de ces hommes est ultérieurement mort des suites de ses blessures.
Alors que des manifestants pacifiques sont incarcérés de façon arbitraire au titre de lois draconiennes, les allégations de recours excessif à la force contre des manifestants lors des manifestations contre la Loi portant modification de la loi sur la nationalité (CAA) et des émeutes qui y ont fait suite, qui ont fait de nombreux morts, comme l’a également souligné la communication de rapporteurs spéciaux en date du 28 février 2020 adressée au gouvernement indien, n’ont toujours pas fait l’objet d’une enquête.
La CAA, qui a été adoptée en décembre 2019 légitime la discrimination fondée sur la religion et viole de façon flagrante la Constitution indienne et le droit international relatif aux droits humains. Cette loi, bien qu’affichant un objectif d’inclusion, revêt en fait un caractère d’exclusion dans sa structure et sa visée. Elle modifie la Loi sur la citoyenneté de 1955 afin de permettre aux migrants en situation irrégulière d’obtenir la nationalité indienne via la naturalisation et la régularisation. Cependant, elle restreint l’éligibilité aux seuls hindous, sikhs, bouddhistes, jaïns, parsis et chrétiens originaires d’Afghanistan, du Bangladesh et du Pakistan, arrivés en Inde jusqu’au 31 décembre 2014. Pour se faire naturaliser et obtenir la nationalité indienne, la durée de résidence en Inde requise est abaissée, passant de 11 à cinq ans pour ces communautés.
La CAA viole le droit à l’égalité devant la loi et le droit de ne pas subir de discrimination tels que garantis par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, auxquels l’Inde est partie.
La Loi relative à la prévention des activités illégales (UAPA) est régulièrement utilisée par le gouvernement pour contourner les droits humains et étouffer les voix dissidentes. En 2018, le taux de condamnation au titre de l’UAPA était de 27 % et 93 % des affaires étaient en instance devant les tribunaux. Il s’agit d’un instrument de harcèlement utilisé par les autorités pour harceler, intimider et emprisonner les personnes qui critiquent le gouvernement. Du fait de la lenteur de la procédure d’enquête et des dispositions de l’UAPA extrêmement sévères concernant la libération sous caution, ces personnes sont finalement emprisonnées pendant de nombreuses années, ce qui favorise la détention illégale et la torture.