Abdul Karim Ali, Rabio Enuah et Yenkong Sulemanu ont comparu à trois reprises devant le tribunal militaire de Yaoundé. Lors de la troisième audience, ils ont été officiellement placés en détention provisoire par un juge d’instruction, pour « hostilité à l’égard de la patrie », « non-signalement », « sécession » et « rébellion ».
La famille proche d’Abdul Karim Ali a été contrainte d’entrer dans la clandestinité après avoir reçu des menaces. Amnesty International a appris que son épouse avait été menacée au moyen d’appels téléphoniques anonymes, qui l’ont amenée à fuir leur domicile. Au cours de ces appels, elle a été sommée de ne pas alerter des personnes en dehors du Cameroun sur la situation de son mari, et il lui a été demandé d’apporter les passeports de celui-ci et du reste de la famille aux militaires qui le détenaient.
Ce n’est pas la première fois qu’Abdul Karim Ali est détenu vraisemblablement en raison de son militantisme. Il avait déjà été arrêté le 25 septembre 2019 et conduit au centre de détention du Secrétariat d’État à la Défense où il avait été incarcéré, initialement sans pouvoir consulter un avocat pendant cinq jours, avant d’être finalement libéré quelques semaines plus tard, le 1er novembre 2019, sans avoir été inculpé.
Depuis 2016, les autorités du Cameroun ont emprisonné des centaines de personnes qui n’ont fait qu’exercer pacifiquement leur droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Parmi elles, cinq journalistes sont actuellement détenus, de même que 62 personnes ayant participé à des manifestations organisées par le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), un parti politique d’opposition. Des centaines d’arrestations ont également eu lieu lors de manifestations pacifiques contre la discrimination ressentie à l’égard des régions anglophones du pays. Beaucoup de personnes détenues ont été déclarées coupables par des tribunaux militaires sur la base d’accusations érigeant en infraction le droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique, en violation des normes internationales relatives aux droits humains.
La détention de personnes ayant simplement exercé leurs droits aux libertés d’expression et de réunion pacifique est arbitraire et contraire à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui ont été ratifiés par le Cameroun.
De plus, le Cameroun est signataire de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, dont l’article 2 définit la disparition forcée comme « l’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi. » Étant partie à cette Convention, le Cameroun « doit s’abstenir d’actes qui priveraient un traité de son objet et de son but ».