Depuis février 2023, les autorités tunisiennes mènent une enquête pénale contre au moins 21 personnes pour des accusations infondées de complot. Au moins 10 personnes sont actuellement détenues dans le cadre de cette enquête, notamment l’homme politique Khayam Turki, qui a été arrêté le 11 février ; l’éminent homme d’affaires Kamel Eltaief, arrêté le 11 février également ; le dissident et homme politique Abdelhamid Jelassi, arrêté le 12 février ; l’avocat et dissident Lazhar Akremi, arrêté le 13 février ; le directeur de radio Noureddine Boutar, arrêté le 13 février (il a également été arrêté dans le cadre d’une autre affaire) ; les militant·e·s de l’opposition Chaima Issa et Issam Chebbi, arrêtés le 22 février ; le militant de l’opposition Jaouhar Ben Mbarek, arrêté le 24 février ; et les avocats Ghazi Chaouachi et Ridha Belhaj, arrêtés le 25 février. Chaima Issa est une éminente militante tunisienne et une figure du Front du salut national (FSN), l’une des principales coalitions de l’opposition en Tunisie. Elle a été arrêtée le 22 février 2023 alors qu’elle se déplaçait en voiture à Tunis avec sa soeur, et elle est actuellement détenue dans la prison de Manouba, à Tunis.
Dans le cadre d’une autre affaire, un tribunal militaire mène également une enquête au sujet de Chaima Issa, au titre de l’article 24 du draconien Décret-Loi 2022-54 relatif à la cybercriminalité, en raison de remarques qu’elle a faites au sujet des autorités lors d’un entretien diffusé à la radio le 22 décembre 2022. Les autorités lui ont en outre interdit de se rendre à l’étranger. Au titre du droit international relatif aux droits humains, les civil·e·s ne doivent en aucun cas être jugés par des tribunaux militaires, et les tribunaux militaires tunisiens ne présentent pas l’indépendance requise. Si elle est jugée et déclarée coupable, elle risque jusqu’à 10 ans d’emprisonnement au titre de ce décret-loi.
Jaouhar Ben Mbarek est lui aussi un éminent militant tunisien et il est l’un des dirigeants du Front du salut national (FSN). Comme Chaima Issa, il fait partie des personnes qui ont fondé l’initiative « Citoyens contre le coup d’État », un mouvement politique qui dénonce le coup de force du président tunisien Kaïs Saïed, qui s’est emparé du pouvoir en 2021. Il a participé à l’organisation de plusieurs manifestations à Tunis appelant à la destitution du président Kaïs Saïed et de son gouvernement. Il a été arrêté le 24 février 2023 et emmené au centre de détention de Bouchoucha après que les forces de sécurité eurent effectué une descente et une perquisition à son domicile. La police avait auparavant brièvement placé en détention son père, Ezzedine Hazgui, qui lui aussi critique haut et fort le président tunisien. Jaouhar Ben Mbarek est actuellement détenu à la prison de Mornaguia, à Tunis.
Khayam Turki est un homme politique tunisien et il est le directeur du groupe de réflexion Joussour (Ponts). Il a également été le secrétaire général du parti d’opposition Ettakatol, avant qu’il ne quitte ses fonctions en 2015. En 2020, plusieurs partis politiques ont suggéré le nom de Khayam Turki au président tunisien Kaïs Saïed pour qu’il devienne le prochain chef du gouvernement. Il a été arrêté le 11 février 2023 à son domicile à Tunis après que les forces de sécurité eurent effectué une descente et une perquisition à son domicile. Il est actuellement incarcéré dans la prison de Mornaguia, à Tunis.
Depuis qu’il a suspendu le Parlement et s’est octroyé des pouvoirs d’exception étendus, le 25 juillet 2021, le président Kaïs Saïed a émis des décrets-lois, et supervisé l’adoption d’une nouvelle Constitution qui lui donne le dernier mot quant aux nominations au sein de l’appareil judiciaire et le pouvoir de révoquer des juges sommairement.
Le 11 février 2023, quand a débuté la récente vague d’arrestations, des tribunaux avaient déjà ouvert des enquêtes ou engagé des poursuites, dans le cadre d’une large érosion des droits humains observée depuis le 25 juillet 2021, contre 32 personnes qui avaient légitimement exercé leur droit à la liberté d’expression.
Le 14 février 2023, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Türk, s’est dit préoccupé par la récente vague d’arrestations visant des figures de la société civile et des personnes considérées comme des opposants, ainsi que par les attaques persistantes des autorités tunisiennes contre le pouvoir judiciaire. Un porte-parole du Haut-Commissaire a de façon spécifique mentionné les poursuites pénales engagées contre « des opposants présumés » accusés de « complot contre la sécurité de l’État ».
Le Haut-Commissariat a appelé les autorités tunisiennes « à respecter les normes d’une procédure régulière et d’un procès équitable dans toutes les procédures judiciaires et à libérer immédiatement toutes les personnes détenues arbitrairement, y compris toute personne détenue en relation avec l’exercice de ses droits à la liberté d’opinion ou d’expression ».
Le 22 février 2023, le président Kaïs Saïed a déclaré que quiconque « osait exonérer » ce qu’il a décrit comme étant « des réseaux criminels » était fondamentalement leur « complice ». Cette déclaration, associée à la révocation arbitraire de 57 juges ordonnée par le président en 2022, contribue à créer un climat d’intimidation croissant pour la magistrature.
Le 30 mars 2023, un tribunal tunisien a rejeté la demande de libération provisoire soumise par les avocats de huit personnes détenues dans le cadre de l’enquête pour « complot », notamment Chaima Issa, Jaouhar Ben Mbarek et Khayam Turki.