Le 26 juillet, la militante des droits humains Evdokia Romanova, membre actif de la Youth Coalition for Sexual and Reproductive Rights (YCSRR) de Samara, en Russie centrale, a été convoquée au poste de police local à titre de témoin dans une autre affaire sur laquelle la police enquêtait. Mais lorsqu’elle est arrivée au poste, elle a été interrogée et inculpée, au titre de l’article 6.21, paragraphe 2 du Code des infractions administratives, de « promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs utilisant Internet ». Son seul « crime » a été de relayer, sur sa page Facebook et sur le réseau social russe VKontakte, des liens vers le site Web de la YCSRR et des publications médias, notamment vers un article du Guardian consacré au référendum sur le mariage entre personnes de même sexe en Irlande, et vers un article de Buzzfeed sur une exposition, à Saint-Pétersbourg, portant sur les adolescents LGBTI en Russie. Quatre de ces publications datent de 2015 et une autre de mai 2016.
Dans un premier temps, l’affaire a été portée devant le tribunal du district de Kirov, à Samara. Cependant, lors de l’audience du 18 septembre, le juge a estimé que l’affaire devait être entendue par un magistrat. Le 4 octobre, Evdokia Romanova a reçu une lettre du magistrat à qui son dossier avait été transféré. Ce courrier l’informait que l’affaire était renvoyée au service de police qui l’avait ouverte, en raison d’erreurs dans le dossier. Le 5 octobre, en fin d’après-midi, son avocat a été informé que son affaire serait traitée par une autre magistrate, le 9 octobre.
Evdokia Romanova et son conseil n’ont eu que le week-end pour s’y préparer. Lors de l’audience du 9 octobre, la juge a statué que le procès se tiendrait à huis clos afin d’éviter que l’affaire ne donne lieu à davantage de « propagande ». Après l’audience, la juge a fait savoir à Evdokia Romanova qu’elle n’appréciait guère l’attention que l’affaire avait suscitée, ni les nombreux appels téléphoniques qu’elle recevait de journalistes à Moscou. La juge a dit qu’elle ne voulait pas de journalistes dans la salle d’audience.
La loi interdisant la « promotion des relations sexuelles non traditionnelles auprès des mineurs », également connue sous le nom de « loi sur la propagande homosexuelle », a été adoptée en Russie en juin 2013. Elle a introduit dans le Code des infractions administratives l’article 6.21, qui prévoit de lourdes amendes pour les personnes qui, du point de vue des autorités, promeuvent les « relations sexuelles non traditionnelles ». Amnesty International estime que cette loi est contraire au droit à la liberté d’expression et milite pour son abolition. Elle a des conséquences particulièrement néfastes pour les activités des organisations LGBTI ainsi que des militants LGBTI individuels.
Depuis son adoption en 2013, plusieurs personnes, dont les militants LGBTI Nikolaï Alexeïev, Nikolaï Baïev et Alexeï Kiselev, ont écopé d’amendes en application de cette loi. En janvier 2014, ces trois militants ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), affirmant qu’il y avait eu violation de leurs droits au titre de la Convention européenne des droits de l’homme. En juin 2017, la Cour a statué que la Russie avait enfreint l’article 10 (droit à la liberté d’expression) et l’article 14 (interdiction de toute discrimination) de la Convention européenne des droits de l’homme, et qu’elle devait verser des indemnités aux militants. La Russie a décidé d’interjeter appel.
Le droit à une audience publique est une garantie essentielle de l’équité et de l’indépendance du processus judiciaire, ainsi qu’un moyen de préserver la confiance des citoyens dans le système judiciaire. À l’exception de certains cas prévus et bien définis, comme les affaires impliquant des mineurs, au pénal, les audiences et les décisions doivent être publiques. Le droit à une audience publique signifie que non seulement les parties au procès, mais aussi le grand public et les médias ont le droit d’être présents.