Écrire Des pêcheurs jugés après avoir protesté contre la destruction de la mangrove

Ilham Mahmudi et Taufik, deux pêcheurs de la province de Sumatra-Nord, font l’objet d’un procès, avec en toile de fond les efforts déployés pour empêcher que leur village côtier ne soit englouti.

Ils encourent jusqu’à cinq ans et demi d’emprisonnement après avoir été inculpés de violences en réunion et de dommages matériels présumés. Les ONG et les défenseur·e·s locaux considèrent ces accusations comme une criminalisation injuste de leurs activités en tant que militants environnementaux.

Avec leur communauté, ils s’efforcent de protéger la forêt de mangrove de la région contre l’empiètement, qui, selon eux, pourrait entraîner des inondations et faire sombrer leur village.

Les autorités indonésiennes doivent garantir des poursuites équitables et impartiales, et garantir leur droit à un procès équitable.

En 2014, les habitant·e·s du village de Kwala Langkat, dans le kabupaten (préfecture) de Langkat, (province de Sumatra-Nord), ont commencé à réhabiliter les mangroves de la région, cet écosystème étant crucial pour leurs moyens de subsistance, puisque la majorité des villageois travaillent comme pêcheurs. Dans les années qui ont suivi, cependant, le travail de conservation a été entravé par l’empiètement, sur les terres concernées, d’opérations d’huile de palme dans la région.

Les dommages causés à l’écosystème de la mangrove ont affecté le travail des pêcheurs locaux - qui doivent maintenant naviguer plus loin dans la mer pour se rendre dans leur zone d’activité - et ont également provoqué des inondations par les marées dans leur village. Les villageois·e·s se sont inquiétés de la poursuite de l’érosion, étant donné que le village voisin de Tapak Kuda a été submergé en raison de l’élévation du niveau de la mer.
En janvier 2024, une partie de la forêt de mangrove a été détruite pour faire place à des opérations d’exploitation de l’huile de palme, suscitant des protestations de la part des villageois·e·s qui ont ensuite signalé l’empiétement à la police régionale de Sumatra-Nord.

Après ce signalement, des policiers se sont rendus dans la forêt et ont confisqué une pelleteuse le 6 février 2024, mais n’ont pris aucune autre mesure pour enquêter sur les activités d’empiètement. Excédés par l’inaction de la police, certains résidents locaux ont démoli une cabane se trouvant dans la forêt de mangrove, qui avait été utilisée par les conducteurs de la pelleteuse pour s’y reposer.

Le 22 mars 2024, Ilham Mahmudi a été signalé à la police pour son implication présumée dans la démolition d’une cabane de fortune, par un homme lié aux activités visant à faire reculer la mangrove. Le 18 avril 2024, des policiers en civil se sont présentés à son domicile et l’ont arrêté sans mandat. Des témoins ont dit qu’Ilham était attaché et avait été poussé à bord de la voiture. Il n’a pas été accompagné par un avocat lors de son premier interrogatoire et a ensuite été contraint de se faire représenter par un avocat choisi par la police, avant que les avocats de l’Institut d’aide juridique de Medan (LBH Medan) ne prennent en charge son affaire le 26 avril 2024. Peu après l’arrestation d’Ilham, le même jour, des villageois auraient lancé des pierres sur une maison appartenant à un homme qui aurait des liens avec les activités d’empiétement, brisant des fenêtres.

Taufik a d’abord été arrêté avec un autre pêcheur, Safii, le 11 mai 2024, et accusé d’avoir endommagé la maison le 18 avril. Ils ont été arrêtés par la police alors qu’ils pêchaient des crustacés en mer à bord d’un bateau. Des policiers en civil sont arrivés sur un hors-bord, ont appréhendé les deux hommes sans présenter de mandat et ont menacé de les abattre s’ils refusaient de suivre. Les deux pêcheurs n’ont pas non plus été accompagnés par un avocat lors de leur premier interrogatoire dans l’après-midi du 11 mai, jusqu’à ce que les avocats de LBH Medan arrivent et signent une procuration le soir même. Selon LBH Medan, l’enregistrement de vidéosurveillance que le propriétaire de la maison a soumis à la police à titre de preuve a montré que Taufik ne se tenait près de la maison que pendant que Safii tentait d’empêcher les villageois d’endommager le bâtiment lors de cet épisode.

Pendant sa garde à vue, Taufik a également fait l’objet d’une enquête pour son implication présumée dans la démolition de la cabane de fortune dans la forêt, et a ensuite été nommé suspect dans cette affaire. Le 4 juillet 2024, les charges retenues contre Taufik et Safii dans l’affaire du 18 avril ont été abandonnées et la procédure a été close après la signature d’un accord avec le propriétaire de la maison, ce qui a conduit à la libération de Safii. Le procès d’Ilham Mahmudi et Taufik devait commencer le même jour, mais a été reporté car leur avocat était malade. Ce jour-là, cependant, les juges ont ordonné la libération de Taufik, qui se trouvait en détention provisoire, tandis qu’Ilham est maintenu en détention au bureau du procureur de Langkat depuis son transfert de garde à vue le 14 juin 2024.

Le 15 juillet 2024, les procureurs ont inculpé Ilham et Taufik en vertu de l’article 170 (1) et de l’article 406 du Code pénal, qui portent respectivement sur les violences en réunion et les dommages matériels. Certaines ONG locales estiment que la procédure pénale est une forme de criminalisation visant à étouffer le travail de la communauté locale dans la conservation des forêts de mangrove et la défense de leur droit à un environnement propre, sain et durable.

L’Indonésie s’est engagée à assurer la viabilité environnementale et à atteindre zéro émission nette « d’ici 2060 ou plus tôt » dans le cadre des efforts visant à lutter contre la crise climatique. Les militant·e·s environnementaux en Indonésie sont cependant de plus en plus souvent harcelés et poursuivis en justice lorsque des acteurs étatiques et économiques perçoivent leurs activités comme un obstacle à la mise en place de politiques de développement.

Entre janvier 2019 et juin 2024, Amnesty International a recensé au moins 18 cas d’arrestations, d’agressions et de menaces visant des militant·e·s écologistes qui défendaient leurs droits à la terre et à un environnement sain. L’organisation a recensé 24 victimes.

J'agis

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Monsieur le Procureur,

Je vous écris pour vous faire part de mon inquiétude pour Ilham Mahmudi et Taufik, deux pêcheurs du village de Kwala Langkat qui passent actuellement en jugement, après leurs tentatives visant à sauver leur village côtier. Avec les habitant·e·s, ces deux pêcheurs ont protesté contre l’empiètement, par une entité privée, sur une forêt de mangrove protégée dans leur village, craignant que cela ne conduise à une érosion côtière qui compromettrait l’existence du village.

Le 15 juillet 2024, le parquet a inculpé Ilham Mahmudi et Taufik pour leur participation présumée à des violences en réunion et à des dommages matériels lors d’une manifestation le 21 mars 2024, en relation avec des dégâts causés à une cabane de fortune dans la forêt. Leur procès s’est ouvert après qu’ils ont passé plusieurs semaines en détention provisoire ; ils avaient été arrêtés séparément le 18 avril et le 11 mai 2024, respectivement. Tous deux ont été arrêtés sans mandat par des policiers en civil et n’ont pas bénéficié de l’assistance d’un avocat lors de leur premier interrogatoire. Alors que Taufik est en détention provisoire depuis le 4 juillet, Ilham se trouve toujours en détention au bureau du procureur. Ils encourent jusqu’à cinq ans et demi d’emprisonnement.

Les villageois·e·s ont également signalé avoir été visés par des actes d’intimidation et des menaces de poursuites judiciaires pour avoir protesté contre l’empiétement. Je trouve cette situation inquiétante, en particulier dans le contexte des efforts de cette communauté pour protéger son droit à un environnement propre, sain et durable, ainsi que du droit des militants écologistes à une procédure régulière et à un procès équitable.

En conséquence, je vous exhorte à :

• Veiller à ce que les droits d’Ilham Mahmudi et Taufik à un procès équitable soient respectés, conformément aux normes internationales. Faire en sorte que les charges particulièrement lourdes soient évitées, en particulier compte tenu de la faible ampleur des dégâts causés, et que les poursuites soient fondées sur des éléments établissant la suspicion raisonnable de l’implication d’Ilham et de Taufik dans les dommages causés à la cabane ;
• Respecter la présomption d’innocence en libérant Ilham pendant le procès, sauf s’il existe un risque réel de fuite, de préjudice ou d’ingérence en relation avec les éléments de preuve ou dans l’enquête ;
• Garantir qu’Ilham puisse avoir des contacts réguliers et sans restriction avec un avocat de son choix, qu’il ne soit pas soumis à des actes de torture ni à d’autres mauvais traitements, et qu’il puisse recevoir des soins de santé et des traitements médicaux s’il en a besoin ;
• Je demande également aux autorités de veiller à ce que tous les défenseur·e·s des droits humains et leurs familles, notamment la population de Kwala Langkat, puissent mener leurs manifestations pacifiquement sans craindre d’être harcelés, intimidés, arrêtés arbitrairement ou emprisonnés.

Veuillez agréer, Monsieur le Procureur, l’expression de ma haute considération.

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