En 2014, les habitant·e·s du village de Kwala Langkat, dans le kabupaten (préfecture) de Langkat, (province de Sumatra-Nord), ont commencé à réhabiliter les mangroves de la région, cet écosystème étant crucial pour leurs moyens de subsistance, puisque la majorité des villageois travaillent comme pêcheurs. Dans les années qui ont suivi, cependant, le travail de conservation a été entravé par l’empiètement, sur les terres concernées, d’opérations d’huile de palme dans la région.
Les dommages causés à l’écosystème de la mangrove ont affecté le travail des pêcheurs locaux - qui doivent maintenant naviguer plus loin dans la mer pour se rendre dans leur zone d’activité - et ont également provoqué des inondations par les marées dans leur village. Les villageois·e·s se sont inquiétés de la poursuite de l’érosion, étant donné que le village voisin de Tapak Kuda a été submergé en raison de l’élévation du niveau de la mer.
En janvier 2024, une partie de la forêt de mangrove a été détruite pour faire place à des opérations d’exploitation de l’huile de palme, suscitant des protestations de la part des villageois·e·s qui ont ensuite signalé l’empiétement à la police régionale de Sumatra-Nord.
Après ce signalement, des policiers se sont rendus dans la forêt et ont confisqué une pelleteuse le 6 février 2024, mais n’ont pris aucune autre mesure pour enquêter sur les activités d’empiètement. Excédés par l’inaction de la police, certains résidents locaux ont démoli une cabane se trouvant dans la forêt de mangrove, qui avait été utilisée par les conducteurs de la pelleteuse pour s’y reposer.
Le 22 mars 2024, Ilham Mahmudi a été signalé à la police pour son implication présumée dans la démolition d’une cabane de fortune, par un homme lié aux activités visant à faire reculer la mangrove. Le 18 avril 2024, des policiers en civil se sont présentés à son domicile et l’ont arrêté sans mandat. Des témoins ont dit qu’Ilham était attaché et avait été poussé à bord de la voiture. Il n’a pas été accompagné par un avocat lors de son premier interrogatoire et a ensuite été contraint de se faire représenter par un avocat choisi par la police, avant que les avocats de l’Institut d’aide juridique de Medan (LBH Medan) ne prennent en charge son affaire le 26 avril 2024. Peu après l’arrestation d’Ilham, le même jour, des villageois auraient lancé des pierres sur une maison appartenant à un homme qui aurait des liens avec les activités d’empiétement, brisant des fenêtres.
Taufik a d’abord été arrêté avec un autre pêcheur, Safii, le 11 mai 2024, et accusé d’avoir endommagé la maison le 18 avril. Ils ont été arrêtés par la police alors qu’ils pêchaient des crustacés en mer à bord d’un bateau. Des policiers en civil sont arrivés sur un hors-bord, ont appréhendé les deux hommes sans présenter de mandat et ont menacé de les abattre s’ils refusaient de suivre. Les deux pêcheurs n’ont pas non plus été accompagnés par un avocat lors de leur premier interrogatoire dans l’après-midi du 11 mai, jusqu’à ce que les avocats de LBH Medan arrivent et signent une procuration le soir même. Selon LBH Medan, l’enregistrement de vidéosurveillance que le propriétaire de la maison a soumis à la police à titre de preuve a montré que Taufik ne se tenait près de la maison que pendant que Safii tentait d’empêcher les villageois d’endommager le bâtiment lors de cet épisode.
Pendant sa garde à vue, Taufik a également fait l’objet d’une enquête pour son implication présumée dans la démolition de la cabane de fortune dans la forêt, et a ensuite été nommé suspect dans cette affaire. Le 4 juillet 2024, les charges retenues contre Taufik et Safii dans l’affaire du 18 avril ont été abandonnées et la procédure a été close après la signature d’un accord avec le propriétaire de la maison, ce qui a conduit à la libération de Safii. Le procès d’Ilham Mahmudi et Taufik devait commencer le même jour, mais a été reporté car leur avocat était malade. Ce jour-là, cependant, les juges ont ordonné la libération de Taufik, qui se trouvait en détention provisoire, tandis qu’Ilham est maintenu en détention au bureau du procureur de Langkat depuis son transfert de garde à vue le 14 juin 2024.
Le 15 juillet 2024, les procureurs ont inculpé Ilham et Taufik en vertu de l’article 170 (1) et de l’article 406 du Code pénal, qui portent respectivement sur les violences en réunion et les dommages matériels. Certaines ONG locales estiment que la procédure pénale est une forme de criminalisation visant à étouffer le travail de la communauté locale dans la conservation des forêts de mangrove et la défense de leur droit à un environnement propre, sain et durable.
L’Indonésie s’est engagée à assurer la viabilité environnementale et à atteindre zéro émission nette « d’ici 2060 ou plus tôt » dans le cadre des efforts visant à lutter contre la crise climatique. Les militant·e·s environnementaux en Indonésie sont cependant de plus en plus souvent harcelés et poursuivis en justice lorsque des acteurs étatiques et économiques perçoivent leurs activités comme un obstacle à la mise en place de politiques de développement.
Entre janvier 2019 et juin 2024, Amnesty International a recensé au moins 18 cas d’arrestations, d’agressions et de menaces visant des militant·e·s écologistes qui défendaient leurs droits à la terre et à un environnement sain. L’organisation a recensé 24 victimes.