Ahnaf Jazeem, un poète et enseignant sri-lankais, a été arrêté par le Département des enquêtes sur le terrorisme le 16 mai 2020, en vertu de la draconienne Loi relative à la prévention du terrorisme (PTA). Il a été appréhendé en raison d’un recueil de poèmes en langue tamoule qu’il a publié sous le titre Navarasam, ainsi que d’autres allégations dénuées de fondement selon lesquelles ses élèves auraient été exposés à des contenus et à une idéologie « extrémistes ».
Ahnaf Jazeem n’a eu aucune représentation juridique pendant près de huit mois après son arrestation. Après avoir pu s’assurer les services d’un conseil, il n’a été autorisé à le consulter que le 8 mars 2021, après deux mois de recours formés sans relâche par son avocat. Même alors, sa rencontre avec son avocat a été surveillée - des agents du Département des enquêtes sur le terrorisme ont écouté et enregistré leurs conversations privilégiées. D’après son avocat, Ahnaf Jazeem, pendant sa détention, a également été forcé à signer des documents rédigés dans une langue qu’il ne comprenait pas. Les autorités ont tenté de le forcer à faire des « aveux » dans lesquels il s’auto-incriminait.
Privé d’accès à sa famille pendant près de cinq mois après son arrestation, il continue d’être privé d’un accès sans restriction et régulier à ses proches. Selon son avocat, Ahnaf Jazeem a été soumis à des traitements inhumains et dégradants pendant sa détention et vit dans des conditions d’hygiène déplorables. Le 16 mars 2021, son avocat a également écrit à la Commission des droits humains du Sri Lanka pour signaler qu’il y avait eu violation des droits fondamentaux d’Ahnaf Jazeem et du droit à une procédure régulière, et que son client avait subi des traitements inhumains et dégradants.
L’arrestation d’Ahnaf Jazeem intervient alors que la communauté musulmane du Sri Lanka est de plus en plus marginalisée, soumise à des discriminations et prise pour cible. Amnesty International a recensé des propositions, des décisions et des réglementations gouvernementales récentes qui, d’emblée, étaient discriminatoires à l’encontre de la minorité musulmane du pays, qui représente environ 9 % de la population du Sri Lanka.
En 2017, le rapporteur spécial des Nations unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste, Ben Emmerson, a déploré l’habitude des autorités sri-lankaises de poursuivre des membres de minorités pour terrorisme, en soulignant que la PTA avait été utilisée pour commettre certaines des pires violations des droits humains, y compris le recours généralisé à la torture et à la détention arbitraire, dans les années qui avaient précédé le conflit et pendant celui-ci, en particulier pour viser les minorités et réprimer l’opposition. Son rapport mettait également en avant les persécutions que les autorités sri-lankaises infligeaient en vertu de lois ayant trait au terrorisme à des personnes à qui elles reprochaient divers liens réels ou supposés avec des groupes armés, en détenant celles-ci pendant plusieurs années sans inculpation ni jugement, ni contrôle judiciaire de leur détention, et sans possibilité ou presque de libération.
La Commission des droits humains du Sri Lanka, dans le rapport qu’elle a présenté au Comité des Nations unies contre la torture en 2016, a souligné : « La torture est régulièrement utilisée dans toutes les régions du pays, indépendamment de la nature de l’infraction présumée pour laquelle le suspect est arrêté. » Une étude plus récente sur les prisons réalisée par cette commission, publiée en décembre 2020, a révélé que les personnes arrêtées au titre de la PTA étaient confrontées à un continuum de violences. Selon cette étude, « la violence en garde à vue était un élément inhérent au processus d’enquête, par lequel la torture était infligée pour extorquer des informations, des aveux et des preuves aux personnes détenues ».