Écrire Une présidente d’ONG inculpée au titre de la loi sur les « agents de l’étranger »

Le 2 juin, Valentina Tcherevatenko, éminente militante russe des droits humains, a été inculpée de « soustraction avec intention délictueuse aux obligations imposées par la loi » au titre de la Loi relative aux « agents de l’étranger ». Elle encourt jusqu’à deux ans d’emprisonnement. Si elle est condamnée, cela pourrait marquer le début d’une dérive inquiétante consistant à poursuivre pénalement les dirigeants d’ONG.

Le 2 juin, Valentina Tcherevatenko et son avocat ont été convoqués dans les locaux du Comité d’enquête de Rostov-sur-le-Don (sud-ouest de la Russie), où l’enquêteur leur a remis un document officiel inculpant Valentina Tcherevatenko de « soustraction avec intention délictueuse aux obligations imposées par la loi aux organisations à but non lucratif exerçant les fonctions d’un agent de l’étranger », au titre de l’article 330.1 du Code pénal russe. Si elle est déclarée coupable, elle risque jusqu’à deux ans de prison.
Valentina Tcherevatenko est une militante des droits humains de Novotcherkassk (région de Rostov). Elle est la fondatrice et la présidente de l’Alliance des femmes du Don, une ONG de défense des droits humains, et la présidente de la Fondation des femmes du Don pour le développement de la société civile et les droits humains.

Le document indiquait que Valentina Tcherevatenko s’était « délibérément, dans une intention délictueuse, soustraite à son obligation de soumettre les documents nécessaires pour inscrire la Fondation des femmes du Don pour le développement de la société civile et les droits humains au registre des agents de l’étranger ». En d’autres termes, il lui est reproché de ne pas avoir spontanément enregistré son organisation comme « agent de l’étranger ».

Dans le cadre de ses activités, la Fondation, créée en août 2013, mettait en œuvre le projet « Soutien aux personnalités et initiatives publiques dans le Caucase du Nord », parrainé par la Fondation Heinrich Böll (une fondation allemande qui finance des projets liés aux droits humains et au développement). Le projet visait à « apporter un soutien aux catégories de la population les plus vulnérables, au développement du dialogue démocratique, à la promotion de la tolérance, à la consolidation de la paix et à l’égalité entre hommes et femmes dans le Caucase du Nord ». Les autorités russes ont considéré qu’il s’agissait d’une « activité politique ». En juin 2014, l’Alliance des femmes du Don a été inscrite au registre des « agents de l’étranger » du ministère de la Justice, puis, en octobre 2015, ce ministère a également enregistré la Fondation dans ce registre.

Valentina Tcherevatenko est la première personne dirigeant une ONG à être inculpée d’une infraction pénale au titre de l’article 330.1, ce qui constitue un précédent inquiétant pour la société civile en Russie.

Valentina Tcherevatenko fait l’objet d’une enquête depuis le 6 mai, date de sa première convocation aux fins d’interrogatoire par la septième Direction des enquêtes du Comité d’enquête. Cette unité est chargée des enquêtes sur les « infractions ayant un grand retentissement sur la population », par exemple les infractions provoquant de nombreuses morts ou les infractions les plus graves commises par des représentants de l’État. Le 24 juin 2016, Valentina Tcherevatenko a été informée, au cours d’une perquisition des locaux de son organisation, qu’elle était désormais officiellement suspecte au titre de l’article 330.1 du Code pénal. Depuis lors, elle et ses collègues ont été convoquées à plusieurs reprises aux fins d’interrogatoire.

Dans le document officiel remis le 2 juin, l’enquêteur affirme, entre autres, que la conclusion d’un contrat avec la Fondation Heinrich Böll prouve que Valentina Tcherevatenko a cherché à se soustraire « avec intention délictueuse à ses obligations » au titre de la Loi relative aux « agents de l’étranger », et que la conférence finale du projet était une « action politique financée par une organisation étrangère ». Du point de vue de l’enquêteur, certaines des initiatives des ONG de femmes du nord du Caucase soutenues par le projet, telles que « Il faut être capable de construire son propre bonheur », « Réponse de femmes » et « Dialogue interculturel », illustrent clairement le caractère politique du projet mis en œuvre par la Fondation des femmes du Don.

L’Alliance des femmes du Don travaille sans relâche depuis plus de 20 ans sur un vaste éventail de questions allant des droits humains à l’aide humanitaire en passant par la consolidation de la paix dans la région de Rostov et les régions voisines, notamment dans le Caucase du Nord. Elle fait partie des ONG les plus éminentes et respectées en Russie.

Ces deux ONG ont contesté leur inscription au registre des « agents de l’étranger ». Le 29 février 2016, le ministère de la Justice a officiellement retiré l’Alliance des femmes du Don du registre, déclarant qu’elle avait « cessé d’exercer les fonctions d’un agent de l’étranger ».

La Loi relative aux « agents de l’étranger » a été promulguée en 2012, alors que les autorités menaient une campagne de répression du droit à la liberté d’association dans le pays. L’article 330.1 a alors été ajouté au Code pénal, introduisant l’infraction de « soustraction avec intention délictueuse aux obligations imposées par la loi aux organisations à but non lucratif exerçant les fonctions d’un agent de l’étranger », passible de lourdes sanctions allant de fortes amendes à une peine de deux ans d’emprisonnement pour les dirigeants d’ONG.

L’adoption de cette loi a eu un effet dissuasif pour beaucoup d’organisations et de militants de la société civile en Russie. Ce texte impose aux ONG russes de s’enregistrer en tant qu’« organisations exerçant les fonctions d’agents de l’étranger » si elles reçoivent des financements étrangers et prennent part à des « activités politiques » définies en des termes vagues. Il exige des ONG désignées comme des « agents de l’étranger » qu’elles apposent cette appellation sur tous leurs documents publics et communiquent des informations supplémentaires, et les soumet à d’autres obligations très contraignantes.

Dans les faits, l’étiquette « agents de l’étranger » empêche les ONG de coopérer efficacement avec les autorités, les établissements d’enseignement et les autres organismes publics. En raison de l’application agressive de la loi par les autorités, un certain nombre d’ONG de premier plan ont décidé de cesser leurs activités ; plusieurs autres risquent la faillite en raison des lourdes amendes qui leur ont été infligées parce qu’elles refusaient de s’identifier comme des « agents de l’étranger », et le fonctionnement normal de dizaines d’ONG en Russie a été perturbé.

La procédure pénale que les autorités ont pris l’initiative d’engager contre Valentina Tcherevatenko est un dangereux précédent et porte la répression contre la société civile en Russie à un niveau encore plus inquiétant.

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