Le 18 octobre 2019, des manifestations massives ont éclaté partout au Chili, à la suite de l’annonce d’une hausse du prix des transports publics à Santiago, la capitale. Pour de nombreux Chilien·ne·s, ce fut la goutte d’eau qui fait déborder le vase après des décennies de détérioration de l’accès aux droits économiques, sociaux et culturels.
Ces manifestations largement pacifiques ont été sévèrement réprimées. Les mesures gouvernementales, sans précédent depuis le gouvernement Pinochet, n’ont pas mis fin aux contestations. Les carabineros, la force de police chilienne, ont fait un usage constant et inapproprié d’armes à létalité réduite, tirant à plusieurs reprises des munitions potentiellement mortelles de façon injustifiée, généralisée et sans discrimination et, dans de nombreux cas, visant la tête. Plusieurs fois, les carabineros ont fait un usage excessif et inutile de gaz lacrymogènes, lançant cette substance chimique sur des hôpitaux, des universités, des maisons et même des écoles, ce qui a gravement affecté des enfants et des personnes porteuses de handicaps.
Des milliers de personnes ont été blessées, dont des centaines grièvement touchées aux yeux, à cause des tirs de chevrotine recouverte de caoutchouc et de gaz lacrymogènes effectués sans discernement et de manière inappropriée. Parmi les autres violations des droits humains, citons des dizaines de cas de torture, dont des sévices sexuels. La plupart des violations recensées sont imputables aux carabineros.
Leurs commandants, dont la responsabilité consiste à exercer le contrôle sur leurs unités et à faire en sorte que la force soit utilisée conformément à la législation et aux normes nationales et internationales, n’ont pas empêché ces violations des droits humains – ce qu’illustre le cas emblématique de Gustavo Gatica.
La police chilienne a ouvert une enquête interne sur les événements, mais a conclu que personne au sein de l’institution ne pourrait être tenu pour responsable dans cette affaire. En juin 2020, Amnesty International a dénoncé ce qui ressemblait à une tentative des carabineros de dissimuler l’implication de l’un de leurs agents, l’agent « G-3 ». Au 29 septembre 2023, il fait l’objet d’une enquête pénale pour son rôle dans les tirs qui ont touché Gustavo. Le procureur général a engagé des poursuites contre l’agent « G-3 », mais son procès n’a toujours pas eu lieu, et la responsabilité de la chaîne de commandement ne fait l’objet d’aucune procédure.
En octobre 2020, Amnesty International a publié un rapport historique intitulé Les yeux rivés sur le Chili : Violence policière et responsabilité de commandement pendant la vague de contestation sociale, concluant à la possible responsabilité pénale d’au moins trois commandants des carabineros pour leurs ordres tacites ou leurs omissions délibérées dans la violation généralisée du droit à l’intégrité physique des manifestant·e·s. Elle a lancé une campagne mondiale demandant que le Bureau du procureur général enquête sur ces commandants.
Dans son rapport, Amnesty International préconise également une réforme structurelle des carabineros, en raison des limites résultant de leur nature militaire et de leur structure organique, et souligne la nécessité que les autorités civiles contrôlent mieux la police nationale et que des changements soient opérés d’urgence afin de garantir une adhésion totale au droit international relatif aux droits humains.
En septembre 2023, l’impunité pour ces événements restait la norme. Selon l’Institut national chilien pour les droits humains (INDH), à la fin de l’année 2022, le Bureau du procureur national n’avait engagé des poursuites que pour 127 des 10 568 plaintes pour des violations des droits humains commises pendant la vague de contestation sociale. Ces poursuites n’ont débouché que sur 27 condamnations et huit acquittements.