Issam Bouguerra est un réalisateur tunisien de 39 ans de Kairouan. Après avoir fait des études de graphisme en Tunisie, il s’est rendu aux États-Unis pour suivre sa passion et étudier le cinéma à Los Angeles. Il a réalisé plusieurs séries télévisées pour des chaînes de télévision tunisiennes et algériennes. Il est surtout connu pour son court-métrage nommé « Faracha » (« Papillon ») sur un jeune garçon de Kairouan, une ville tunisienne pauvre et conservatrice, ayant décidé de vivre sa passion malgré la désapprobation de tous. « Faracha » a été acclamé par la critique et a remporté la Coupole d’or du meilleur court-métrage de fiction, lors du festival Mon premier film, à Paris en 2022, alors qu’il était emprisonné.
Issam Bouguerra a été convoqué pour la première fois pour un interrogatoire le 20 septembre 2021. Les autorités tunisiennes l’ont soumis à un test urinaire de dépistage de stupéfiants, ce qui constitue une violation du droit à la vie privée. La police a également fouillé son téléphone et trouvé des « photos suspectes liées à des stupéfiants ». La police a confisqué son téléphone et son ordinateur et a également procédé à une perquisition de son domicile.
Issam Bouguerra est poursuivi au titre des articles 4 et 5 de la Loi n° 92-52 relative aux stupéfiants (Loi n° 52). L’article 4 impose une peine d’un à cinq ans de prison et une amende pouvant aller jusqu’à 3 000 dinars tunisiens pour la consommation ou la détention de plantes ou matières stupéfiantes. L’article 5 prévoit une peine de 6 à 10 ans d’emprisonnement et une amende pouvant atteindre 15 000 dinars tunisiens pour quiconque cultive, récolte, produit, détient, possède, s’approprie, offre, transporte, s’entremet, achète, cède, livre, distribue, extrait ou fabrique des stupéfiants pour le trafic. Les autorités n’ont produit aucune preuve qu’il était impliqué dans un trafic ou qu’il avait l’intention de vendre ou de tirer profit des stupéfiants. S’il est déclaré coupable, Issam Bouguerra encourt jusqu’à 15 ans d’emprisonnement.
Le cas d’Issam Bouguerra incarne les souffrances des milliers de personnes privées de liberté en Tunisie pour leur seule consommation de stupéfiants. D’après un récent rapport publié par Avocats sans frontières, plus de 2 500 personnes étaient détenues pour des infractions liées aux stupéfiants en 2019, dont 60 % pour consommation de stupéfiants.
La surpopulation carcérale est un problème de longue date en Tunisie, les prisons excédant déjà leur capacité maximale avec 22 000 détenus pour 18 000 places, dont une grande partie est détenue pour des infractions liées aux stupéfiants. Des organisations de la société civile tunisiennes et internationales ont dénoncé le vaste éventail d’atteintes aux droits humains qu’entraînent les lois punitives en matière de stupéfiants, notamment des agressions physiques par des policiers. Bien que la Loi n° 92-52 ait été modifiée en 2017, principalement pour réduire la surpopulation carcérale, les atteintes aux droits humains liées à cette loi restent nombreuses.
Amnesty International s’oppose à l’interdiction générale des stupéfiants au titre de laquelle les États ont délibérément puni, violemment attaqué, stigmatisé et diabolisé des millions de personnes pour les inciter à arrêter de consommer des stupéfiants et pour dissuader les autres d’en consommer. Amnesty International appelle plutôt les autorités tunisiennes à adopter une approche différente fondée sur le droit international relatif aux droits humains et les normes en la matière afin de veiller à ce que les politiques relatives au contrôle des stupéfiants protègent la population au lieu de la mettre en danger.
International appelle les autorités tunisiennes à adopter de nouveaux modèles de contrôle des stupéfiants axés sur la protection de la santé et d’autres droits humains, notamment la dépénalisation de la consommation, de la détention et de la culture de stupéfiants à des fins de consommation personnelle, ainsi que la réglementation efficace des stupéfiants afin d’offrir des voies d’accès légales et sûres aux personnes autorisées à les consommer.
Ces politiques doivent être accompagnées d’une extension des services de santé et d’autres services sociaux afin de traiter les problèmes liés aux stupéfiants, ainsi que d’autres mesures pour traiter les causes socio-économiques profondes qui poussent les gens à s’engager dans le trafic de stupéfiants, comme la pauvreté, la discrimination, le chômage, la mauvaise santé, la privation d’éducation ou la privation de logement.
Le rapporteur spécial sur le droit à la santé a appelé aux mêmes mesures, déclarant que les États membres « doivent réformer les lois nationales afin de décriminaliser ou dépénaliser la détention et la consommation de drogues, et d’améliorer l’accès aux médicaments essentiels placés sous contrôle. » Une étude récente du groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire publiée le 18 mai 2021 a recommandé aux États de « libérer rapidement les personnes détenues uniquement pour usage ou détention de drogues à des fins personnelles et de réexaminer les déclarations de culpabilité en vue de les radier de leur casier judiciaire. »