Écrire Répression de masse contre les medias en Turquie

Neuf journalistes et membres de la direction du quotidien d’opposition Cumhuriyet ont été incarcérés le 4 novembre dans l’attente de leur procès. Au moins 112 journalistes et d’autres professionnels des médias ont été placés en détention provisoire depuis la tentative de coup d’État du 15 juillet et la déclaration de l’état d’urgence, le 21 juillet. Au cours de la même période, des décrets ont forcé 169 médias à mettre un terme à leurs activités.

Neuf journalistes et membres de la direction de Cumhuriyet, un journal turc d’opposition, ont été incarcérés le 4 novembre, dans l’attente de leur procès. Cela porte à 112 le nombre de journalistes et de professionnels des médias incarcérés depuis la tentative de coup d’État du 15 juillet. Comme d’autres journalistes et employés de dizaines de médias d’opposition, ils sont visés par des accusations de terrorisme forgées de toutes pièces.

Certains de ces 112 journalistes et professionnels des médias se trouvent en détention provisoire - systématiquement prononcée, et arbitraire et punitive par nature - depuis plus de trois mois. Les journalistes ainsi incarcérés travaillent pour des médias d’opposition de tous les horizons politiques, de publications liées à Fethullah Gülen, un dignitaire religieux installé aux États-Unis que le gouvernement accuse d’avoir commandité le coup d’État, à des publications kurdes, laïques ou de gauche. Des journalistes sont accusés d’entretenir des liens avec l’« organisation terroriste de Fethullah Gülen » - ainsi que la qualifie le gouvernement -, ou le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), voire les deux. Tous les journalistes arbitrairement maintenus en détention provisoire doivent être immédiatement libérés, et les charges retenues contre eux doivent être abandonnées à moins que les autorités ne puissent présenter des éléments crédibles attestant la commission d’infractions dûment reconnues par le droit international.

Le 27 juillet, 131 médias accusés d’entretenir des liens avec Fethullah Gülen ont été sommés par le décret exécutif n° 668 de cesser leur activités, au motif qu’ils « menacent la sécurité nationale ou ont des liens avec des organisations terroristes ». Vingt-trois autres, essentiellement des médias d’opposition kurdes et de gauche, ont été fermés le 28 septembre, et 15 de plus le 29 octobre (ces derniers en vertu du décret exécutif n° 675). Les médias ayant ainsi dû mettre un terme à leurs activités incluent le quotidien Taraf, qui a révélé des violations des droits humains, notamment perpétrées par l’armée, le magazine Nokta, adepte d’un journalisme d’investigation rigoureux, Azadiya Welat, le seul journal en langue kurde de diffusion nationale en Turquie, et JINHA, agence de presse féminine kurde.

Les attaques contre la liberté d’expression et les médias font partie des violations des droits humains les plus tenaces en Turquie, se répétant depuis des décennies sous les gouvernements successifs. La situation s’est fortement détériorée ces trois dernières années, à mesure que de grands groupes ayant des liens avec le pouvoir ont acquis de plus en plus de titres de presse, et que l’ouverture de poursuites pénales a réduit au silence les voix dissidentes, ce qui se solde par une presse de plus en plus docile. Les autorités ont lancé des poursuites pénales injustes dans des milliers de cas, notamment en vertu de lois relatives à la diffamation et à la lutte contre le terrorisme, et pris pour cible des militants politiques, des journalistes et d’autres personnes critiques à l’égard des représentants de l’État ou de la politique du gouvernement. Il arrive fréquemment que des citoyens soient déférés à la justice pour des publications sur les réseaux sociaux. En mars 2016, les autorités ont nommé un administrateur à la tête du groupe de presse d’opposition Zaman, au motif qu’une enquête en rapport avec la lutte contre le terrorisme est en cours, dictant la ligne éditoriale des différents organes du groupe.

Le 15 juillet, une tentative de coup d’État militaire a échoué, en partie parce que des citoyens sont descendus dans la rue pour bloquer les tanks. Les autorités ont annoncé que 161 civils et plus de 100 putschistes avaient péri, et que plus de 1 150 personnes avaient été blessées durant cette nuit de violence.

Les attaques contre les médias d’opposition se sont multipliées après la tentative de coup d’État du 15 juillet. Le 21 juillet, le gouvernement a décrété l’état d’urgence pour une période de trois mois, renouvelée le 19 octobre. Plus de 110 000 fonctionnaires ont été démis de leurs fonctions, dont 48 500 enseignants, professeurs d’université et autres employés du ministère de l’Éducation, et plus de 7 000 juges, procureurs et autres employés du ministère de la Justice. En vertu de l’état d’urgence, la protection offerte par des procès équitables et certaines garanties cruciales contre la torture et d’autres formes de mauvais traitements ont été supprimées, compromettant les droits des détenus. Ces mesures risquent de constituer une violation de l’interdiction absolue de la torture et des autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, inscrite dans le droit international. L’application des dispositions de l’état d’urgence permet également des arrestations de grande ampleur ; les personnes placées en détention sont empêchées de contester leur incarcération ou de chercher à obtenir des réparations pour d’éventuelles violations des droits humains.

Du fait de la fermeture de médias dissidents en vertu des décrets exécutifs, plus de 2 500 journalistes seraient actuellement sans emploi et 777 ont perdu leur carte de presse. Sur les 112 journalistes emprisonnés, 78 ont été placés en détention dans le cadre de l’enquête « organisation terroriste Fethullah/Structure d’État parallèle », tandis que 25 autres officiaient dans les médias kurdes. Les neuf journalistes et membres de la direction de Cumhuriyet sont accusés de « publication d’informations de nature à constituer une forme de propagande pour l’organisation terroriste Fethullah et le PKK ».

La Turquie est tenue, au titre de l’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, de garantir le droit à la liberté d’expression, qui recouvre le droit de rechercher, de recevoir et de diffuser des informations et idées de toutes sortes. Les seules restrictions à l’exercice de ce droit qui soient prévues par ces textes sont celles dont il est possible de prouver qu’elles sont nécessaires pour la protection de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques, ou des droits et libertés d’autrui, et qui sont proportionnées au but recherché ; elles doivent en outre interdire toute propagande en faveur de la guerre et les appels à la haine constituant une incitation contre des personnes.

Nom : 112 journalistes et professionnels des médias incarcérés, dont Murat Sabuncu, rédacteur en chef de Cumhuriyet, Hacı Musa Kart, dessinateur de presse, ainsi que les membres de la direction de Cumhuriyet, Ahmet Kadri Gürsel, Güray Tekin Oz, Mustafa Kemal Güngor, Turhan Günay, Hakan Karasinir, Önder Çelik, Bülent Utku, et 169 médias ayant été forcés à mettre un terme à leurs activités.

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