Les procès des personnes jugées pour des infractions passibles de la peine de mort en relation avec le soulèvement « Femme. Vie. Liberté » n’ont rien d’une procédure judiciaire digne de ce nom. Les autorités ont empêché des personnes de s’entretenir avec le moindre avocat durant la phase d’enquête, et ont aussi interdit à des avocats désignés de manière indépendante d’assister aux audiences et de consulter les dossiers de leurs clients. Elles ont accéléré le traitement d’affaires passibles de la peine capitale, les tribunaux s’appuyant sur des « aveux » entachés de torture pour prononcer les condamnations.
Amnesty International a recueilli des informations sur les actes de torture et autres mauvais traitements infligés à cinq des huit personnes actuellement sous le coup d’une condamnation à mort dans ce contexte pour leur arracher des « aveux ». Selon des sources bien informées, au cours d’interrogatoires, les autorités ont soumis Reza (Gholamreza) Rasaei à des décharges électriques, l’ont asphyxié en lui mettant un sac en plastique sur la tête, l’ont suspendu longuement au plafond, l’ont battu violemment et lui ont fait subir des violences sexuelles, pour obtenir ses « aveux » forcés.
En octobre 2023, un tribunal pénal de la province de Kermanchah l’a déclaré coupable de « meurtre » et l’a condamné à mort, retenant à titre de « preuves » ses « aveux » forcés, extorqués sous la torture. En janvier 2024, la Cour suprême a rejeté sa demande de révision judiciaire sans tenir compte des éléments susceptibles de le disculper, notamment ceux concernant l’enquête entachée d’irrégularités et l’omission de certains éléments médicolégaux et d’autre nature, ainsi que des témoignages cruciaux. Cet homme a maintenant épuisé toutes ses voies de recours pour empêcher son exécution et sa sentence a été transmise aux autorités chargées de son application.
En avril 2023, la justice iranienne a annoncé qu’un tribunal révolutionnaire d’Ahvaz (province du Khuzestan) avait condamné à mort Mojahed (Abbas) Kourkouri pour « inimitié à l’égard de Dieu », « corruption sur terre » et « rébellion armée contre l’État ». Son procès manifestement inique a été marqué par des « aveux » arrachés sous la torture, pendant qu’il était soumis à une disparition forcée.
Parmi les huit personnes actuellement sous le coup d’une condamnation à mort, Toomaj Salehi a été condamné à cette peine en avril 2024 uniquement pour avoir participé au mouvement de révolte « Femme. Vie. Liberté » et publié sur les réseaux sociaux des messages dénonçant l’oppression, les exécutions et le recours à la torture pratiqués par les autorités iraniennes et demandant le respect des droits humains et la liberté pour le peuple d’Iran.
Mahmoud Mehrabi, qui a été arrêté en février 2023 et libéré sous caution le 16 mars 2023 pour finalement être à nouveau arrêté quelques heures après, a été condamné à mort pour « corruption sur terre » par la Cinquième chambre du tribunal révolutionnaire d’Ispahan selon un message publié sur X par son avocat le 5 mai 2024. Deux jours plus tard, le 7 mai 2024, l’agence de presse Mizan, aile médiatique du pouvoir judiciaire, a annoncé que sa déclaration de culpabilité et sa condamnation à mort étaient liées au mouvement « Femme. Vie. Liberté ».
Une source bien renseignée a indiqué à Amnesty International que Mahmoud Mehrabi avait exprimé son soutien à ce mouvement dans ses publications de réseaux sociaux et avait également subi des représailles des autorités pour avoir critiqué publiquement la corruption de responsables locaux.
En novembre 2022, un tribunal révolutionnaire de Téhéran a déclaré Manouchehr Mehman Navaz coupable d’« inimitié à l’égard de Dieu » et l’a condamné à mort pour avoir mis le feu à un bâtiment de l’État lors de manifestations « dans l’intention d’affronter l’État islamique ». Ce jugement est contraire au droit international, qui interdit d’imposer la peine de mort pour des infractions n’impliquant pas un homicide volontaire. Le tribunal a prononcé sa déclaration de culpabilité et sa condamnation à mort deux semaines seulement après l’ouverture de son procès, manifestement inéquitable, le 29 octobre 2022.
Amnesty International a par ailleurs obtenu la confirmation qu’au moins cinq autres personnes – Kamran Soltani, Mohammad FarjI, Pouria Javaheri, Raouf Sheikh Maroufi et Reza Arabpour – sont actuellement détenues et inculpées ou accusées d’infractions passibles de la peine capitale. L’organisation estime que le nombre de personnes encourant un risque similaire est encore plus élevé.
À ce jour, les autorités ont exécuté arbitrairement au moins neuf personnes en relation avec le mouvement « Femme. Vie. Liberté », à l’issue de procès iniques entachés d’allégations de torture. Mohammad Ghobadlou, un manifestant de 23 ans souffrant de troubles mentaux, a été exécuté de façon inattendue et illégale le 23 janvier 2024. Pourtant, en juillet 2023, la Première chambre de la Cour suprême avait annulé sa condamnation à mort et ordonné un nouveau procès – qui n’a jamais eu lieu, après l’intervention du responsable du pouvoir judiciaire, Gholamhossein Mohseni Ejei.
À la suite du soulèvement « Femme. Vie. Liberté », les autorités iraniennes ont renforcé leur recours à la peine capitale dans le but de répandre la peur au sein de la population et de resserrer leur emprise sur le pouvoir. En 2023, l’Iran a exécuté au moins 853 personnes, une augmentation de 48 % par rapport à 2022. Parmi elles, au moins sept hommes ont été exécutés en lien avec des manifestations : Mohammad Mehdi Karami et Seyed Mohammad Hosseini en janvier ; Majid Kazemi, Saleh Mirhashemi et Saeed Yaghoubi en mai ; Milad Zohrevand en novembre – tous les six pour le soulèvement de 2022 – et Kamran Rezaei en novembre pour les manifestations nationales de novembre 2019. Le recours à la peine de mort a eu un impact disproportionné sur la minorité ethnique baloutche opprimée en Iran, qui constitue environ 5 % de la population du pays mais a représenté 20 % des exécutions en 2023.
En 2024, les autorités ont poursuivi leur vague meurtrière, notamment à l’encontre des minorités ethniques et des dissident·e·s, en procédant à 250 exécutions au moins entre le 1er janvier et le 20 mai selon le Centre Abdorrahman Boroumand.