Le 16 janvier 2024, au cours d’une lourde opération de police, 11 journalistes et autres professionnels des médias travaillant pour les médias Temirov Live et Ait Ait Dese ont été arrêtés et conduits au ministère de l’Intérieur pour un interrogatoire. Ils ont été privés de la possibilité de consulter un avocat pendant leur garde à vue, et le 30 janvier, ils ont tous été transférés dans le centre de détention provisoire SIZO 1 de Bichkek.
Selon le ministère de l’Intérieur, les nombreuses perquisitions et arrestations s’inscrivaient dans le cadre d’une enquête pénale portant sur des allégations d’« appels à la désobéissance active […] et à des émeutes de masse » et d’« appels à la violence contre les citoyens » (article 278-3 du Code pénal) basées sur l’analyse linguistique d’une vidéo publiée sur la chaîne Youtube d’Ayt Ayt Dese le 13 décembre 2023. Ces 11 personnes ont été inculpées au titre de l’article 278 (3), mais elles ont nié les accusations portées contre elles et maintenu qu’elles étaient motivées par des considérations politiques et qu’elles visaient à les sanctionner en raison de critiques visant les autorités.
Le 10 octobre 2024, le tribunal du district Leninski à Bichkek a déclaré coupables quatre journalistes : Makhabat Tazhibek-kyzy a été condamnée à six années d’emprisonnement, Azamat Ishenbekov a été condamné à cinq années d’emprisonnement, et Aike Beishekeeva et Aktilek Kaparov ont été condamnés à trois ans de mise à l’épreuve. Sept autres accusés ont été acquittés pour manque de preuves.
Makhabat Tazhibek-kyzy, qui dirige les médias Temirov Live et Ayt Ayt Dese, est l’épouse de Bolot Temirov, journaliste d’investigation en exil et fondateur de Temirov Live. Azamat Ishenbekov est journaliste et akyn (poète) pour le média Ayt Ayt Dese. Il a, sous la forme de chansons populaires, dénoncé la corruption des autorités kirghizes et les abus qui leur sont imputés.
Outre la sentence prononcée le 10 octobre, le tribunal a également décidé que le jeune fils de Makhabat Tazhibek-kyzy et Bolot Temirov devait être retiré à sa famille pour être placé sous tutelle de l’État. Cependant, cette décision n’a jusqu’à présent pas été appliquée et l’enfant se trouve toujours sous la garde de ses grands-parents.
Depuis son lancement en janvier 2020, le média Temirov Live fait l’objet de pressions persistantes exercées par les autorités. En janvier 2022, des agents de la brigade des stupéfiants ont perquisitionné ses locaux et arrêté Bolot Temirov. En novembre 2022, Bolot Temirov, qui avait la double citoyenneté russe et kirghize, a été déchu de la citoyenneté kirghize et expulsé vers Moscou. Les autorités l’ont accusé d’avoir illégalement obtenu la citoyenneté kirghize et de violations de la frontière, ces accusations étant largement perçues comme des représailles liées aux critiques qu’il a formulées à l’égard du gouvernement.
Amnesty International a rassemblé des informations sur la détérioration du droit à la liberté d’expression au Kirghizistan, notamment sur la fermeture de médias indépendants ou la restriction de leurs activités et sur les poursuites pénales engagées contre des militant·e·s, notamment dans l’affaire dite de Kempir-Abad.