Le transfert punitif de Maryam Akbari Monfared à la prison de Semnan s’inscrit dans une tendance inquiétante, documentée par le rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme en Iran, qui se traduit par « le transfert de défenseurs des droits de l’homme dans des prisons éloignées de leurs familles en guise de punition ». Dans son rapport du 16 juillet 2021, le rapporteur spécial a noté avec inquiétude que les défenseur·e·s des droits humains « Sepideh Qoliyan et Atena Daemi ont été transférées du quartier des femmes de la prison d’Evin vers des prisons éloignées dans les provinces de Bouchehr et du Guilan, respectivement le 10 et le 16 mars 2020 [...] Golrokh Iraee a été transférée de la prison de Qarchak à celle d’Amol le 24 janvier 2021. »
Maryam Akbari Monfared est emprisonnée depuis décembre 2009 et a purgé 12 années sur sa peine de 15 ans de prison pour « inimitié à l’égard de Dieu » (moharebeh). Sa condamnation repose uniquement sur des appels téléphoniques qu’elle a passés à des membres de sa famille appartenant à l’Organisation des moudjahidin du peuple d’Iran (OMPI) et sur une visite qu’elle leur a rendue en Irak. L’OMPI est un mouvement d’opposition interdit, basé à l’étranger, qui prône le renversement du régime de la République islamique.
Maryam Akbari Monfared a été condamnée par la 15e chambre du tribunal révolutionnaire de Téhéran en mai 2010, à l’issue d’un procès des plus iniques qui, selon une source bien informée, a duré moins de 15 minutes. Elle a été détenue à l’isolement pendant 43 jours après son arrestation arbitraire le 19 décembre 2009, puis soumise à une disparition forcée pendant cinq mois. Elle n’a pas pu consulter d’avocat pendant la phase d’investigation et a rencontré pour la première fois l’avocat commis d’office pour la défendre le jour de son procès. D’après son mari, durant l’audience, le juge a dit à Maryam Akbari Monfared qu’elle « payait » pour les activités de ses proches au sein de l’OMPI. Sa condamnation a été confirmée en août 2010 par la 33e chambre de la Cour suprême. Les demandes de nouveau procès qu’elle a déposées par la suite ont été rejetées.
Maryam Akbari Monfared a déposé plainte auprès du bureau du procureur de Téhéran depuis l’intérieur de la prison le 14 octobre 2016. La plainte concerne l’exécution extrajudiciaire et la disparition forcée en 1988 de sa sœur Roghayeh Akbari Monfared et de son frère Abdolreza Akbari Monfared, qui avait 17 ans au moment de son arrestation en 1980. Dans sa plainte, elle réclamait « une enquête officielle sur l’exécution extrajudiciaire de ses frères et sœurs » et demandait « des informations précises sur les exécutions, notamment le lieu des fosses communes et l’identité des responsables ». À ce jour, les autorités n’ont pas donné suite à sa plainte. En revanche, elles lui ont infligé des représailles.
Dans un rapport de 2018, intitulé Blood-soaked secrets : Why Iran’s 1988 prison massacres are ongoing crimes against humanity, Amnesty International a conclu que non seulement les autorités iraniennes avaient commis en 1988 le crime contre l’humanité de meurtre en soumettant des milliers de dissidents et dissidentes politiques à des exécutions extrajudiciaires en secret, mais aussi qu’elles commettaient les crimes continus contre l’humanité de disparition forcée, de persécution, de torture et d’autres actes inhumains, notamment en dissimulant systématiquement le sort réservé aux victimes et le lieu où se trouvent leurs dépouilles.
Un groupe d’experts de l’ONU a indiqué dans une communication en septembre 2020 que les violations passées et présentes en lien avec le massacre des prisons de 1988 « peuvent constituer des crimes contre l’humanité » et a déclaré que « si le gouvernement iranien continuait à refuser d’honorer ses obligations au regard du droit international, ils appelleraient la communauté internationale à prendre des mesures pour diligenter une enquête internationale ».
L’arrivée à la présidence d’Ebrahim Raisi, qui doit faire l’objet d’une enquête pour des crimes contre l’humanité passés et présents en lien avec les disparitions forcées et exécutions extrajudiciaires de masse en 1988, est une sombre illustration de l’impunité systémique qui prévaut dans le pays.
Amnesty International demande au Conseil des droits de l’homme de l’ONU de prendre des mesures concrètes pour faire face à la crise de l’impunité en Iran, notamment en établissant un mécanisme impartial et indépendant, en complément du travail du rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en Iran, avec pour mission de collecter, de regrouper, de protéger et d’analyser les éléments de preuve relatifs aux crimes les plus graves au regard du droit international commis en Iran, qui répondent aux critères généraux de recevabilité dans le cadre des procédures pénales afin de faciliter des procédures pénales équitables et indépendantes à l’avenir.