Écrire Vote imminent sur le projet de loi rétrograde sur la torture

La chambre basse du Congrès du Mexique a jusqu’au 30 avril pour voter sur le projet de Loi générale contre la torture. La version actuelle du projet de loi comporte des modifications qui, en cas d’adoption, renforceraient l’impunité dont bénéficient les responsables d’actes de torture et limiteraient l’accès à la justice des auteurs de plaintes pour torture.

En 2016, un projet de Loi générale contre la torture a été rédigé et présenté au Sénat, à la suite de pressions exercées par la société civile pour faire face au problème de la torture, phénomène largement répandu au Mexique. Cette loi remplacerait la législation en la matière actuellement en vigueur à l’échelon fédéral et au niveau des États fédérés. Elle s’appliquerait dans tout le pays. En avril 2016, la Chambre des députés (Chambre basse du Congrès) a reçu la version du projet de loi approuvée par le Sénat. Celle-ci, dans l’ensemble, était conforme aux normes internationales relatives aux droits humains.

En décembre 2016, la Chambre des députés a apporté quatre modifications rétrogrades au projet de loi sans consulter la société civile. Les conséquences de ces amendements sont les suivantes : a) en vertu de l’article 16, les agents de l’État soupçonnés de torture resteraient en service actif pendant l’enquête menée à leur encontre ; b) l’article 22 met des obstacles à l’intervention des pouvoirs fédéraux dans les affaires relevant des différents États du Mexique ; c) l’article 33 impose aux juges des obligations difficiles à respecter en matière de preuve pour pouvoir ordonner l’ouverture d’une enquête pour torture, ce qui augmente le risque d’impunité en cas de plainte pour torture ; d) l’article 35 propose un registre national sur la torture qui ne prendrait pas en compte des milliers de plaintes pour torture, en recensant uniquement les cas dans lesquels des charges sont retenues, soit une minorité. Cela conduirait à des statistiques officielles complètement fausses sur la torture. Ces quatre amendements rétrogrades ont été intégrés dans la version finale du projet de loi rédigée par la Chambre des députés, qui doit être soumise au vote du Congrès avant la fin de sa session, le 30 avril.

Malgré les pressions récemment exercées par l’ONU, par des ONG, par Amnesty International et par d’autres organisations internationales, on ne sait toujours pas si les quatre amendements seront supprimés. Le projet de loi doit également renforcer d’urgence le Mécanisme national de prévention, conformément au Protocole facultatif se rapportant à la Convention des Nations unies contre la torture. Le Mécanisme national de prévention actuel ne protège pas efficacement les personnes privées de liberté et n’empêche pas la torture dans le pays, et le projet de loi dans sa formulation actuelle doit renforcer l’indépendance financière et opérationnelle de ce mécanisme et son fonctionnement.

Au Mexique, la torture et les autres mauvais traitements demeurent presque toujours impunis, et de nombreux signalements font état de passages à tabac, de quasi-asphyxies au moyen de sacs en plastique, de décharges électriques et de viols et autres agressions sexuelles infligés à des personnes pendant des opérations de la police et de l’armée. Lorsque des femmes sont arrêtées, la violence sexuelle est couramment utilisée comme forme de torture. Il est extrêmement rare que des charges soient retenues contre les auteurs présumés d’actes de torture. En avril 2016, pour la première fois en deux ans, le Bureau du procureur général de la République a annoncé que cinq fonctionnaires fédéraux avaient été inculpés de torture, à la suite de la divulgation d’une vidéo sur laquelle on voyait des policiers et des soldats torturer une femme.

En 2016, l’Unité spéciale sur la torture du Bureau du procureur général de la République a indiqué que 4 715 dossiers d’enquête sur des plaintes pour torture étaient en cours de réexamen à l’échelon fédéral. Au niveau national, jusqu’à 12 000 plaintes pour torture ont été déposées pendant la seule année 2013.
Les récentes modifications proposées par la Chambre basse concernent plusieurs articles de la Loi générale contre la torture. Pour ce qui est de l’article 16 : les normes internationales disposent que les agents de l’État soupçonnés de torture ont le droit de continuer à recevoir un traitement et qu’ils doivent bénéficier de la présomption d’innocence, mais aussi que la simple ouverture d’une enquête sur un suspect suffit pour qu’il soit suspendu de ses fonctions.

Cependant, sous sa forme actuelle, le projet de loi exigerait que des charges aient été retenues contre l’agent soupçonné pour qu’il soit suspendu, ce qui permettrait aux suspects de rester en service actif tant que ce stade n’est pas atteint. Étant donné qu’il est très rare que les suspects soient inculpés, il est indispensable que les autorités suspendent tout agent faisant l’objet d’une enquête pour torture, au lieu d’attendre pour ce faire que des charges soient retenues. En ce qui concerne les pouvoirs fédéraux (art. 22), le projet de loi limite les circonstances dans lesquelles ils sont habilités à prendre le relais dans une enquête menée par un État fédéré.

Ces pouvoirs fédéraux ont un rôle essentiel à jouer dans les cas où il est nécessaire, en raison de la gravité de l’affaire ou d’un manque d’indépendance au niveau de l’État fédéré concerné, que le parquet fédéral intervienne. Or, à cet égard, le libellé de la version actuelle du projet de loi est plus ambigu que celui de la version approuvée par le Sénat.

En ce qui concerne le mandat permettant aux juges d’ordonner aux agents du ministère public d’enquêter sur des actes de torture, l’article 33 du projet de loi exige qu’il y ait des « preuves raisonnables » pour que le juge ordonne une enquête, obligation plus restrictive que celle qui existe aujourd’hui, les juges pouvant actuellement ordonner des investigations juste après toute plainte de torture formulée lors d’une audience judiciaire. Enfin, pour ce qui est de l’article 35, le projet de loi ferait qu’un registre national sur la torture répertorierait uniquement les cas de torture pour lesquels des charges ont été retenues.

À titre d’exemple, cela voudrait dire qu’aucun cas n’aurait été recensé dans ce registre au niveau fédéral pour 2014, ni pour 2015, alors que des centaines de plaintes pour torture ont été déposées au cours de ces deux années. Un registre national devrait répertorier le nombre de plaintes, le nombre d’enquêtes ouvertes, l’âge, le sexe et la nationalité du plaignant, ainsi que d’autres informations indispensables pour surveiller le phénomène et lutter contre l’impunité.

La loi générale sur la torture doit améliorer le cadre juridique du Mécanisme national de prévention. Au Mexique, ce mécanisme existe depuis 2007, conformément au Protocole facultatif des Nations unies se rapportant à la Convention contre la torture, et est intégré à la Commission nationale des droits humains (CNDH). C’est un outil très important pour lutter contre la torture, et il constitue une garantie pour préserver les droits des personnes privées de liberté dans le pays. Néanmoins, ce mécanisme ne fonctionne pas efficacement, faute de moyens (financiers et humains) suffisants et de membres indépendants issus de la société civile.

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