Au début du mois de mai 2024, le gouvernement tunisien a lancé une campagne de répression contre les réfugié·e·s et les migrant·e·s, ainsi que contre les organisations de la société civile qui défendent leurs droits. Le 6 mai, dans le cadre de remarques publiques, le président Kaïs Saïed s’en est pris aux organisations travaillant sur les migrations, les accusant de chercher à « installer » les migrants et les qualifiant de « traîtres » et d’« agents [étrangers] ».
Il a déclaré : « Il y a des réseaux à l’intérieur qui sont connectés à des réseaux à l’étranger […] Des virements financiers sont reçus par […] ceux qui prétendent faussement qu’ils protègent [les migrants], une association, vous savez tous comment elle a lancé un appel d’offres pour héberger ces Africains […] qui résident [en Tunisie] illégalement ».
Le 7 mai, un procureur de Tunis a annoncé l’ouverture d’une enquête contre des associations pour « abus de leur mandat dans le but d’apporter un soutien financier » à des migrants en situation irrégulière. Les autorités ont depuis lors pris pour cible les dirigeants, les anciens employés ou les membres d’au moins 15 organisations, les convoquant, les arrêtant et enquêtant sur eux.
Dix défenseurs des droits humains, membres d’ONG et anciens employés municipaux ayant travaillé avec celles-ci sont actuellement en détention provisoire sur la base d’accusations de soutien à des migrant·e·s en situation irrégulière ou de crimes financiers en relation avec des financements légitimement perçus par des ONG. Le même mois, les autorités ont procédé à des expulsions forcées de réfugié·e·s et de migrant·e·s, et ont condamné des propriétaires pour avoir loué des appartements à des migrants en situation irrégulière.
Il s’agit de l’un des durcissements les plus récents dans le cadre de la dégradation plus large des droits des réfugié·e·s et des migrant·e·s depuis février 2023, marquée par des pratiques et un langage discriminatoires sur le plan racial. Un recours récurrent aux poursuites contre des défenseur·e·s des droits des réfugié·e·s et des migrant·e·s a également été constaté en Europe et au-delà.
Le Conseil tunisien pour les réfugiés (CTR), ONG tunisienne fondée en 2016, qui a travaillé avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et les autorités tunisiennes dans le but de préenregistrer les personnes en quête d’asile et de fournir une assistance cruciale aux réfugié·e·s et demandeurs et demandeuses d’asile vulnérables, a été parmi les premières organisations visées. S
on fondateur, Mustapha Djemali, est un ancien haut responsable du HCR. Le 2 mai 2024, conformément aux exigences réglementaires locales et dans le cadre de ses activités régulières, le CTR a lancé un appel d’offres pour que des hôtels proposent un hébergement à des personnes demandant l’asile et à des réfugié·e·s en situation précaire, à la suite d’une demande d’assistance de la part du HCR et de la région de Sfax.
Après sa publication, des médias tunisiens et des comptes de réseaux sociaux ont par-tagé des captures d’écran de l’appel d’offres, affirmant que la société civile conspirait afin d’« installer » des « Africains » ou des « migrants illégaux » en Tunisie, en utilisant souvent un langage xénophobe et raciste. Le 3 mai, la police a effectué une descente dans les bureaux du CTR à Tunis, a arrêté son directeur Mustapha Djemal et l’a placé en détention.
Le 4 mai, la police a arrêté et placé en détention Abderrazak Krimi, chef de projet au CTR. Des policiers ont interrogé ces deux défenseurs des droits humains sur le financement du CTR, les activités de l’organisation en ce qui concerne les migrants en situation irrégulière et l’appel d’offres.
Le 7 mai, un juge d’instruction du tribunal de première instance de Tunis a ordonné leur placement en détention provisoire pour une durée de six mois en attendant les résultats d’une enquête pour « participation à une entente ou formation d’une organisation » contre quiconque aura « conçu, facilité, aidé ou se sera entremis ou aura organisé par un quelconque moyen, même à titre bénévole, l’entrée […] clandestine d’une personne [sur le] territoire tunisien » et l’aura hébergée, en vertu des articles 38, 39 et 41 de la loi n° 40 de 1975 relative aux passeports et aux documents de voyage.
Ces accusations manquant de clarté sur le plan juridique n’incluent pas d’éléments relatifs au gain ou à l’exploitation financière ou matérielle, qui caractérisent le trafic et la traite des êtres humains, et ne prévoient pas d’exemption concernant les droits humains et le soutien humanitaire, ainsi que l’exige la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et ses protocoles sur le trafic et la traite des êtres humains.
Le juge a renouvelé leur détention pour quatre mois en octobre 2024 et en février 2025. En vertu du droit tunisien, elle ne peut pas être renouvelée une troisième fois. Le juge a rejeté au moins quatre des demandes de libération conditionnelle présentées par leur avocat. Il a gelé leurs comptes bancaires et celui du CTR dans l’attente des résultats de l’enquête. Le 18 mars 2025, un rapport d’expertise mandaté par le juge pour enquêter sur leurs comptes bancaires personnels et le compte du CTR a été soumis au tribunal ; il n’a pas décelé d’irrégularités.
Le 25 mars, le juge a déclaré lors d’une audience d’instruction : « Vous avez fait entrer illégalement des personnes noires en Tunisie, vous les nourrissez et les hébergez, l’histoire et les lois tunisiennes vous le feront payer », ce qui suscite des inquiétudes quant à son impartialité et au droit des accusés à un procès équitable.
Mustapha Djemali, 80 ans, souffre de la maladie de Horton, qui nécessite des médicaments sans lesquels il risque des complications. Depuis septembre 2024, les autorités pénitentiaires ne lui ont pas fourni ses médicaments malgré plusieurs demandes et n’ont pas autorisé sa famille à les lui apporter. Elles n’ont pas non plus permis à sa famille de réparer ses lunettes de lecture, qui sont cassées.
Depuis le début de sa détention, les autorités pénitentiaires n’ont pas fourni à Abderrazak Krimi l’ordonnance médicale dont il a besoin.