Écrire Une exécution reprogrammée malgré la maladie mentale du condamné

John Battaglia, 62 ans, doit être exécuté au Texas le 1er février. Cette date a été fixée après qu’un juge de première instance a rejeté les avis de trois psychologues indiquant qu’un grave trouble délirant empêchait le prisonnier de comprendre son exécution de manière rationnelle.

En avril 2002, un jury du comté de Dallas a déclaré John Battaglia coupable d’avoir abattu ses filles, âgées de six et neuf ans, le 2 mai 2001. Il était en période de mise à l’épreuve pour des violences à l’égard de la mère des fillettes, dont il était séparé, et d’après le ministère public, ces meurtres étaient une manière de se venger car elle avait menacé de faire annuler sa mise à l’épreuve. Au cours de la phase du procès consacrée à la détermination de la peine, trois psychiatres témoignant pour la défense et un pour l’accusation ont affirmé que John Battaglia souffrait de troubles bipolaires. Son avocat a souligné qu’il était « en proie à une grave maladie mentale » au moment du crime. Néanmoins, le jury a voté en faveur d’une condamnation à mort.

À l’approche d’une première date d’exécution fixée pour John Battaglia en décembre 2016, un juge du comté de Dallas a organisé une audience consacrée à l’examen des éléments du dossier les 14 et 15 novembre 2016 afin d’évaluer l’« aptitude » du condamné à être exécuté. Quatre psychologues ont étudié John Battaglia sous cet angle : l’une engagée par la défense, un autre par l’accusation, et les deux derniers désignés par le tribunal. Trois d’entre eux ont conclu qu’il était inapte en raison d’un trouble délirant l’empêchant de comprendre sa peine de manière rationnelle. L’experte de la défense a écrit : « [John Battaglia] souffre d’une pathologie grave et active caractérisée par des croyances délirantes graves et persistantes » ; celui de l’accusation a conclu qu’il était « atteint de troubles mentaux graves en raison d’un système complexe de délires de persécution » ; et l’un des deux experts nommés par le tribunal a estimé que John Battaglia était convaincu que sa « condamnation était une comédie » et que « tout ceci [était] un complot contre lui ». L’autre psychologue désigné par le tribunal s’est toutefois déclaré convaincu que John Battaglia feignait la maladie et qu’il était apte à être exécuté.

Le 18 novembre 2016, le juge a rejeté les trois premiers avis et s’est appuyé sur le quatrième pour décider que le prisonnier était apte à l’exécution. Le 20 septembre 2017, malgré un avis divergent détaillé selon lequel le juge avait commis une erreur en se fiant au seul expert qui n’avait lui-même « pas pris en compte la bonne loi applicable pour parvenir à ses conclusions », la cour d’appel pénale du Texas a confirmé le jugement relatif à l’aptitude du condamné. Elle a renvoyé l’affaire devant le tribunal de première instance pour qu’il programme l’exécution. La date du 1er février 2018 a alors été fixée.

Aux termes de l’arrêt Ford c. Wainwright, rendu en 1986 par la Cour suprême des États-Unis, il est interdit d’exécuter des personnes qui ne sont pas en mesure de comprendre le motif ou la réalité de leur peine. En 2007, dans l’arrêt Panetti c. Quarterman, la Cour suprême a statué qu’au titre de l’arrêt Ford, « le fait qu’un prisonnier ait conscience de la raison retenue par l’État pour l’exécuter n’est pas la même chose que le fait de comprendre cette raison de manière rationnelle […]. Il est possible que les délires causés par de graves troubles mentaux établissent un lien entre le crime et son châtiment, mais dans un contexte si éloigné de la réalité que le châtiment ne peut servir aucun objectif digne de ce nom ».

En 2011, un juge de la cour fédérale de district a mis en avant le fait que « les missives décousues et globalement inintelligibles [que John Battaglia] a envoyées à la cour, ainsi que ses antécédents de troubles bipolaires », laissaient craindre qu’il ne « soit sans doute mentalement inapte à renoncer sciemment et intelligemment à son droit d’être assisté d’un avocat », ce qu’il cherchait à faire à ce moment-là. Voici un extrait de l’une de ces « missives », en date du 19 octobre 2009 : « Ces faits et ces conclusions de droit étaient datés du 6 août 2008 et ont été tenus secrets à mon égard, tout comme le nom du juge qui les a rédigés ainsi que tous les éléments présentés lors de mon premier procès en 2002 par mes avocats de première instance et par ceux qui m’ont défendu en appel. C’était en partie dû au fait que j’avais été marié au sein d’un Klan ou Culte de racistes locaux de Dallas qui pratiquaient un type bizarre d’eugénisme, basé sur la consanguinité secrète et frauduleuse et la conception d’enfants par des membres des mêmes familles immédiates sous l’apparence trompeuse d’un mariage conjugal normal. »

La psychologue engagée par la défense pour l’évaluation au regard des arrêts Ford et Panetti a mené environ 15 heures d’entretiens et de multiples tests avec John Battaglia et a produit un rapport circonstancié présentant ses conclusions, affirmant que son trouble délirant le rendait inapte à l’exécution. Dans sa décision du 18 novembre 2016, le juge Robert Burns de la cour pénale de district du comté de Dallas a indiqué ne tenir « aucun compte de son avis » en raison de son « manque d’expérience de travail auprès d’une population carcérale », en ajoutant : « Les allégations de poursuites injustifiées et de complots ourdis par les juges, les témoins, les procureurs et les avocats sont courantes ». Il a adopté une position similaire vis-à-vis de l’expert de l’accusation, en affirmant que celui-ci n’avait « qu’une expérience limitée » du milieu carcéral. Au sujet de l’expert nommé par le tribunal qui a déclaré Battaglia inapte, le juge n’a pas dit grand-chose. En revanche, il a déclaré que l’autre psychologue désigné par le tribunal, qui avait déjà travaillé dans des prisons fédérales, était « hautement qualifié pour déterminer l’aptitude dans ce contexte » et était « tout à fait crédible ». Or, ce psychologue n’a réalisé aucun test auprès du prisonnier, mais a fondé son évaluation initiale sur un entretien qui a duré moins de cinq heures.

Après avoir reçu les rapports des trois autres psychologues, il a mené un nouvel entretien avec le prisonnier, mais n’a toujours pas effectué de test. Dans son second rapport, il affirme que John Battaglia est « une personne très intelligente qui a eu le temps et la motivation pour commencer à mettre au point un scénario complexe et paranoïaque qu’il a pu s’entraîner à répéter au fil des ans ». Il a établi un diagnostic provisoire indiquant que John Battaglia feignait la maladie et a conclu : « Il est probable qu’il ne souffre pas d’un trouble délirant ».

Le juge Burns a fait valoir qu’étant donné l’imminence de son exécution, « John Battaglia a un mobile pour mentir et/ou exagérer ses symptômes de maladie mentale ». En conclusion, il a précisé qu’il ne « croi[t] pas que John Battaglia souffre d’une grave maladie mentale », en ajoutant : « Il a les capacités intellectuelles, est assez averti et a toute motivation pour invalider les tests de santé mentale et créer ces délires spécifiquement liés à sa compréhension rationnelle de son lien avec le crime, en vue d’éviter son exécution. La cour estime que John Battaglia simule ou exagère ses symptômes de maladie mentale. »

L’argument selon lequel un prisonnier condamné simule ou exagère des troubles mentaux pour éviter une exécution a été avancé dans d’autres cas par les autorités – notamment au Texas et au sujet de personnes qui ont été exécutées alors qu’elles présentaient des symptômes de graves troubles délirants (voir https://www.amnesty.org/en/documents/amr51/003/2006/en/). Dans l’arrêt Panetti de 2007, la Cour suprême avait concédé qu’« une notion telle que la capacité à comprendre de manière rationnelle est difficile à définir ».

Dans l’arrêt Ford c. Wainwright de 1986, quatre des juges avaient déjà noté que les éléments de preuve concernant l’inaptitude d’un prisonnier à être exécuté « seront toujours imprécis ». Un cinquième juge avait ajouté que, « à l’inverse des questions de fait historique, la question de la santé mentale d’[un] demandeur repose sur un jugement essentiellement subjectif ». Pour beaucoup, l’une des raisons invoquées afin de mettre un terme aux exécutions et d’abolir la peine de mort est précisément l’impossibilité d’éliminer la subjectivité et l’erreur humaine inhérentes à ce châtiment irréversible.

Sur les 1 446 exécutions réalisées aux États-Unis depuis l’approbation de la nouvelle législation sur la peine capitale par la Cour suprême fédérale en 1976, 546 ont eu lieu au Texas. Le droit international et les normes internationales sur le recours à la peine capitale énoncent que ce châtiment ne peut pas être imposé ou appliqué à des personnes présentant une déficience intellectuelle ou un handicap mental. Cela est valable y compris si un tel trouble est diagnostiqué après la survenance des faits reprochés à la personne condamnée. Amnesty International est opposée à la peine de mort en toutes circonstances.

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