Selon le rapport annuel d’Amnesty International de 2016, la liberté d’expression et de réunion continuent d’être très restreintes.
Le droit à la liberté de réunion pacifique reste sévèrement limité. Les manifestations de protestation sont rares. Leur nombre avait en effet diminué avec l’adoption de restrictions les années précédentes. Les organisateurs de rassemblements se heurtent régulièrement à un refus de la part des pouvoirs publics lors de leurs demandes d’autorisation, ou sont contraints de se contenter de lieux éloignés des grands centres. Ceux qui passent outre étaient sanctionnés par des amendes et des périodes de détention.
En 2015, la liberté d’association a fait l’objet de nouvelles restrictions. La liste des ONG considérées comme des « agents de l’étranger » par le ministère de la Justice comptait 111 noms à la fin de l’année. Les organisations concernées étaient tenues de faire figurer cette mention péjorative sur tous les documents qu’elles publiaient et de se conformer à de pénibles obligations en matière de rapport d’activités. Celles qui ne respectaient pas ces exigences s’exposaient à de lourdes amendes. Aucune ONG n’est parvenue à contester avec succès devant les tribunaux son inscription sur cette liste. Sept en ont été retirées après avoir renoncé à tout financement étranger, et 14 autres ont décidé de fermer.
LES CINQ PRISONNIERS D’OPINION
Sergueï Krivov
Le 6 mai 2012, des dizaines de milliers de personnes ont défilé dans le centre de Moscou et ont voulu se rassembler sur la place Bolotnaïa pour protester contre les résultats contestés de l’élection à l’issue de laquelle Vladimir Poutine a été réélu au poste de président de la Russie. La police a utilisé une force excessive et souvent recouru arbitrairement à la force pour arrêter et retenir les manifestants, dont la plupart étaient pacifiques.
Suite à cette manifestation, beaucoup de participants ont été arrêtés pour « participation à une émeute de grande ampleur ». Sergueï Krivov, un activiste civique aguerri, qui était présent à la manifestation sur la place Bolotnaïa, a été inculpé pour « participation à une émeute de grande ampleur » et « usage de la violence contre un officier de police ». Le 24 février 2014, il a été condamné à quatre ans dans une colonie pénitentiaire. Le 20 juin 2014, lors de son procès en appel, sa peine de prison a été réduite à trois ans et neuf mois, une sanction plus lourde que celles de ces co-accusés. Cette lourde peine peut être expliquée par sa contestation ardente du procès ; il avait porté plaintes plusieurs fois lors de son procès. Il avait notamment commencé une grève de la faim qui dura 63 jours, pendant laquelle Sergueï Krivov a souffert de deux crises cardiaques. Il souffre de plusieurs problèmes de santé depuis cela.
Daria Poliudova
Daria Poliudova est une blogueuse et activiste de gauche connue dans la région de Krasnodar, dans le Sud de la Russie, pour ses manifestations de rue et son activisme en ligne. Elle milite principalement contre les autorités russes et leurs politiques sur l’Ukraine. Elle a souvent été incarcérée à cause de ses manifestations pacifiques, notamment contre l’annexation de la Crimée par la Russie et pour la participation de la Russie dans le conflit ukrainien. En raison de ses arrestations fréquentes, elle n’avait plus accès à un emploi stable.
Le 29 août 2014, elle a été arrêtée et inculpée pour « appels publics à se livrer à des activités extrémistes » et des « appels à commettre des actions mettant en danger l’intégrité territoriale de la Russie ». Son procès a eu lieu le 21 décembre 2015, dans l’attente duquel elle avait été libérée avec des restrictions de voyage. Elle a été condamnée à deux ans dans une colonie pénitentiaire.
Natalia Charina
Natalia Charina a été interpellée à son domicile le 28 octobre 2015 par des officiers du Comité d’enquête. Elle était la directrice de la Bibliothèque de littérature ukrainienne à Moscou. Après avoir perquisitionné son domicile, ils l’ont emmené à son lieu de travail pour entamer une recherche d’ « ouvrages extrémistes » . Les officiers auraient trouvé des œuvres du nationaliste ukrainien Dimitri Korchinsky. Natalia Charina fut ensuite interrogée et maintenue en détention pendant deux jours, sans eau, ni nourriture, ni lit. Elle avait été refusée quatre fois une assistance médicale pour son hypertension artérielle.
Le 29 octobre 2015, elle a été inculpée d’avoir incité à la haine ou à l’hostilité et au non-respect de la dignité humaine, une infraction qui prévoit jusqu’à cinq ans de prison. Depuis elle a été placée en résidence surveillée où elle n’a accès à aucun moyen de communication. Toutefois, le 5 avril 2016, Natalia Charina a été accusée de détournement de fonds : elle aurait détourné des fonds de la bibliothèque afin de payer un avocat pour la défendre dans le cadre de poursuites infondées engagées à son encontre en 2011 et 2013. Cette nouvelle infraction emporte une peine de prison maximale de 10 ans et entre dans la catégorie des crimes graves, ce qui signifie qu’au titre de la législation russe Natalia Charina peut être placée en résidence surveillée ou dans un centre de détention provisoire pendant 18 mois.
Rafis Kashapov
Le 15 septembre 2015, Rafis Kashapov a été condamné à trois ans en colonie pénitentiaire pour avoir encouragé des actes menaçant l’intégrité territoriale de la Fédération de Russie et incitation à la haine ou à l’hostilité et au non-respect de la dignité humaine. Il était le directeur de la branche locale de l’ONG Centre public Tatar.
Il a été condamné à la suite de la publication d’un article « Des pleurs et des morts sur le chemin de la Russie » sur les réseaux sociaux entre juillet et décembre 2014 et pour la publication de trois textes critiquant fortement le gouvernement russe pour sa participation dans le conflit armé dans l’est de l’Ukraine.
Rafis Kashapov est détenu dans la colonie pénitentiaire 6 IK-19 dans la République de Komi, situé à plus de 1 200 kilomètres de sa famille. Amnesty International a été informé qu’il est régulièrement harcelé et persécuté par les autorités pénitentiaires, il est souvent placé dans une cellule punitive pour des accusations forgées de toute pièce.
Ildar Dadine
Le 7 décembre 2015, l’activiste Ildar Dadine a été condamné à trois ans de prison pour « violations répétées de la loi sur les rassemblements publics ». Il est le premier à être condamné sous ce nouveau chef d’inculpation qui a été adopté dans le Code pénal en juillet 2014. Lors de son procès en appel, sa peine a été diminuée à deux ans et demi de prison.
Ildar Dadine avait été jugé coupable pour sa participation dans quatre manifestations pacifiques en 2014, dont un rally de soutien pour les frères Navalny et un piquet de grève pour les manifestants de Bolotnaïa. Il avait été arrêté le 15 janvier 2015 lors d’un piquet de grève en soutien à Charlie Hebdo. Il avait été condamné à quinze jours de prison. Le dernier jour de sa détention, il a été jugé au tribunal de Basmannyi à Moscou. Son procès était sensé relever du Code des infractions administratives mais le juge décida de transférer son dossier au Tribunal pénal. À l’ouverture de son dossier pénal, il a été placé en assignation à résidence. Il a été placé en détention le 7 décembre 2015, jour de sa condamnation.