Phyoe Phyoe Aung est une jeune militante et Secrétaire générale de la Fédération des syndicats étudiants de Birmanie (ABFSU) - l’un des syndicats d’étudiants les plus importants au Myanmar. Elle est détenue avec 70 autres étudiants et militants depuis le 10 mars 2015 après avoir été arrêtée pendant une manifestation d’étudiants. Ceux-ci protestaient contre la nouvelle loi relative à l’éducation nationale qui limite, à leurs yeux, les libertés académiques. Phyoe Phyoe Aung et plus de 100 autres dirigeants et étudiants militants ainsi que leurs partisans ont été inculpés de toute une série d’infractions pénales en lien avec ces manifestations ; beaucoup d’entre eux risquent des condamnations qui peuvent entraîner des peines de plus de neuf ans d’emprisonnement.
Lu Maw Naing, Yarzar Oo, Paing Thet Kyaw, Sithu Soe – journalistes de l’organe de presse Unity – et Tint San, le président-directeur général de ce journal, ont été condamnés à sept ans d’emprisonnement pour « divulgation de secrets d’État » suite à leur travail légitime en tant que journalistes. Ces personnes sont des prisonniers d’opinion et leur détention illustre les risques que ne cessent d’encourir les professionnels des médias. Ce cas met aussi en lumière les restrictions imposées de manière continue à la liberté d’expression au Myanmar. Le journal Unity a été contraint de fermer après l’emprisonnement de la plupart de son personnel, et ces condamnations ont eu un effet dissuasif et intimidant sur les journalistes travaillant dans ce pays. Le 21 mai 2015, la Cour suprême a rejeté l’appel en dernier ressort des cinq journalistes. Toutes les voies de recours sont maintenant épuisées.
Le nouveau gouvernement du Myanmar a la possibilité d’engager le pays dans une nouvelle voie en matière de droits humains, et il doit tirer un trait sur le cadre juridique extrêmement répressif qui a pendant des années favorisé les arrestations arbitraires et la répression.
Amnesty International exhorte Aung San Suu Kyi et le gouvernement dirigé par la Ligue nationale pour la démocratie (NLD) à libérer immédiatement et sans condition tous les prisonniers d’opinion quand ce dernier prendra ses fonctions début avril.
« Le cadre juridique du Myanmar ressemble à un manuel de la répression, et au cours des dernières années les autorités l’ont utilisé de façon croissante pour réduire au silence les dissidents, a déclaré Champa Patel, directrice pour l’Asie du Sud et l’Asie du Sud-Est à Amnesty International.
« Afin de briser l’engrenage des arrestations politiques, le nouveau gouvernement doit de manière prioritaire réformer la législation de façon à ce que le fait de s’exprimer publiquement ne soit plus réprimé pénalement, et il doit libérer toutes les personnes qui ont été incarcérées uniquement parce qu’elles se sont exprimées à haute voix.Retour ligne automatique
« C’est peut-être le début d’une nouvelle ère pour les droits humains au Myanmar, mais la tâche qui attend Aung San Suu Kyi et la Ligue nationale pour la démocratie est gigantesque : il va leur falloir veiller à ce que leurs initiatives ne soient pas entravées par les lois répressives qui leur sont laissées en héritage. De plus, malgré leur large victoire remportée aux élections, la Constitution du pays qui est marquée par de nombreuses failles va permettre à l’armée de continuer de disposer d’un immense pouvoir. »
Deux années de répression grandissante
Le rapport – fondé sur les nombreux entretiens réalisés avec des défenseurs des droits humains, des militants, des avocats et des prisonniers d’opinion et proches de prisonniers d’opinion – montre que les autorités du Myanmar ont mené au cours des deux dernières années une répression de grande ampleur contre les opposants. Elles ont utilisé, pour réduire au silence celles et ceux qui le critiquent, un large éventail de méthodes et de lois très sévères dont certaines sont récentes et d’autres remontent aux années du régime militaire absolu d’avant 2011.
De nombreuses catégories de personnes, parmi lesquelles des journalistes, des défenseur-e-s des droits humains, des étudiant-e-s et des militant-e-s des droits du travail et fonciers, ont été menacées, harcelées et incarcérées uniquement parce qu’elles avaient exprimé leurs opinions de façon pacifique. La répression et les arrestations de militants se sont poursuivies après les élections de novembre 2015.
Amnesty International a connaissance de presque 100 cas de prisonniers d’opinion actuellement détenus au Myanmar, et des centaines d’autres militants pacifiques sont incarcérés ou dans l’attente de la fin de leur procès.
« Ce très grand nombre de prisonniers d’opinion derrière les barreaux continue d’entacher le bilan du Myanmar, et il contredit les affirmations des autorités selon lesquelles une page a été tournée en matière de droits humains. Cette accélération de la répression et des arrestations de personnes dont le seul tort a été d’exprimer pacifiquement leurs opinions est extrêmement préoccupante », a déclaré Champa Patel.
Utilisation de la législation pour faire taire les opposants
Des failles dans la législation sont utilisées pour condamner des militants à de longues peines d’emprisonnement et les priver de liberté. Htin Kyaw purge actuellement une peine de 13 ans et 10 mois d’emprisonnement ; son seul « crime » a été de distribuer des tracts critiquant le gouvernement. Htin Kyaw a en fait été accusé de la même infraction 11 fois car il a distribué des tracts dans 11 municipalités différentes, et c’est pour cette raison qu’il a écopé d’une peine aussi longue.
Les autorités utilisent aussi la législation pour inculper des groupes de personnes qui manifestent, dans des conditions qui représentent alors un châtiment collectif. Elles ont également recouru pour des motifs politiques à l’arrestation et au placement en détention dans le but d’affaiblir des mouvements d’opposition, en prenant plus particulièrement pour cible leurs dirigeants.
À la suite des manifestations étudiantes qui ont débuté en 2014 et qui ont pris fin en mars 2015, quand des étudiants ont été violemment frappés par des policiers à Letpadan, un grand nombre d’étudiants et de personnes qui les soutenaient ont été arrêtés et placés en détention dans tout le pays. Au moins 45 d’entre eux sont toujours incarcérés et dans l’attente de leur procès, et d’autres arrestations ont depuis eu lieu, y compris tout récemment en février 2016.Retour ligne automatique
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L’occasion d’instaurer un changement ?
Des membres de la NLD ont fait des déclarations encourageantes, promettant de faire de la question des droits humains une de leurs priorités quand ils arriveraient au pouvoir, et leur parti dispose à présent d’une occasion unique de tenir cette promesse. Mais la tâche qui l’attend est gigantesque.
De sérieux doutes planent quant à la capacité de la NLD de changer de direction en matière de droits humains, étant donné que la Constitution du Myanmar continue d’octroyer à l’armée la direction d’institutions-clés. Citons par exemple le ministère de l’Intérieur, qui chapeaute les services de police et est en charge de l’administration générale du pays.
Amnesty International exhorte le nouveau gouvernement à libérer immédiatement tous les prisonniers d’opinion, à mettre en place une commission des affaires relatives aux prisonniers d’opinion qui soit efficace et qui sera chargée d’examiner tous les cas et de veiller à ce qu’aucune personne ayant pacifiquement mené des activités militantes ne soit incarcérée, et à modifier ou supprimer toutes les lois qui sont utilisées pour réprimer les droits humains.
« Le gouvernement dirigé par la NLD dispose d’une occasion exceptionnelle de modifier la situation en matière de droits humains. Il doit se saisir pleinement de cette occasion mais, pour ce faire, il aura besoin du soutien de la communauté internationale », a déclaré Champa Patel.