Meurtres, viols, torture : le quotidien des civils
Devenu un État indépendant le 9 juillet 2011, le pays a basculé dans une guerre civile deux ans plus tard, après que le président Salva Kiir a accusé son vice-président, Riek Machar, de fomenter un coup d’État. Plus de 2,3 millions de Sud-Soudanais ont fui leur foyer, dont 1,7 million de personnes déplacées à l’intérieur des frontières et 600 000 personnes réfugiées dans des pays voisins. L’Ouganda a ainsi ouvert ses camps de réfugiés à près de 37 000 Sud-Soudanais, mettant ainsi en danger ses propres infrastructures alimentaires, médicales et menaçant l’accès à l’éducation et aux services d’assainissement.
Bien que les deux dirigeants aient convenu d’un accord de paix en août 2015 pour ensuite former un gouvernement d’union de transition, des combats ont de nouveau éclaté en juillet 2016. Théâtres de violents affrontements, la capitale Juba ainsi que d’autres régions du pays, notamment le comté de Leer, sont de nouveau exposées aux violences des forces gouvernementales. Dans le comté de Leer, ces dernières ont attaqué des villages.
Les cicatrices d’une violence qui n’a que trop longtemps duré
Dans un rapport publié début juillet 2016, intitulé « Our hearts have gone dark » : The mental health impact of South Sudan’s conflict, l’organisation fournit des informations sur l’impact psychologique des massacres, viols, actes de torture, enlèvements et même d’un cas de cannibalisme forcé, sur les victimes et les témoins de ces crimes, dont un grand nombre sont aujourd’hui des déplacés internes. Ce rapport s’appuie principalement sur des recherches effectuées par l’organisation en avril et mai 2015, ainsi qu’en mai 2016, dans les villes de Juba, Malakal et Bentiu, qui ont toutes été touchées par le conflit.
S’appuyant sur des entretiens réalisés auprès de 161 victimes et témoins de violations des droits humains, ainsi qu’auprès de spécialistes de la santé mentale, de responsables du gouvernement et des Nations unies, et de représentants d’organisations non gouvernementales. Les témoignages soulignent les conséquences mentales, physiques, émotionnelles, relationnelles et spirituelles nées des violations des droits humains et humanitaires auxquels ils ont assisté, et qu’ils ont pu eux même vivre. Le rapport met aussi en évidence une grave pénurie de services de santé mentale à travers le pays pour les personnes ayant besoin de soutien et de soins.
Du fait de cette absence quasi-totale de services, certains troubles psychologiques tels que la dépression et le syndrome de stress post-traumatique ne sont pas traités. On ne compte actuellement que deux psychiatres en exercice dans ce pays de 11 millions d’habitants, et les personnes souffrant de troubles psychologiques sont régulièrement placées dans des prisons plutôt que soignées, alors qu’elles ont désespérément besoin d’aide.
« Si les décès et les destructions matérielles causés par le conflit et les précédentes décennies de guerre sont immédiatement apparents, les cicatrices psychologiques, moins visibles, sont négligées », a déclaré Muthoni Wanyeki, directrice régionale pour l’Afrique de l’Est, la Corne de l’Afrique et les Grands Lacs à Amnesty International. Les symptômes décrits correspondent au syndrome de stress post-traumatique et à la dépression, une tendance à l’irritabilité et une incapacité à se concentrer. Cela a un impact sur leurs capacités à travailler, à étudier, à s’occuper de leurs enfants ou encore maintenir des relations avec leurs familles et leurs amis.
Malith, qui a survécu à un des pires épisodes de cette guerre en décembre 2013, quand des membres des forces gouvernementales ont abattu environ 300 hommes à Gudele, un quartier de Juba, la capitale, a déclaré à Amnesty International : « Parfois je rêve que je suis mort en même temps que ceux qui ont été tués. Je me réveille en sueur, tremblant [...] Je pense à la manière dont j’ai survécu. Pourquoi les autres sont-ils morts ? Et là, je me sens mal. »
Depuis le début du conflit, le gouvernement arrête systématiquement ceux qu’il perçoit comme des opposants. Des détenus ont notamment parlé d’homicides, de passages à tabac, de quantités de nourriture et d’eau insuffisantes, qui ont débouché sur une détresse psychologique prolongée. Lual a déclaré à Amnesty International qu’il a été forcé par des membres du Service national de la sûreté à éviscérer, dans des locaux à Juba, d’autres détenus qui avaient été tués, afin qu’ils ne flottent pas quand ils seraient jetés dans la rivière.
La grande majorité des personnes rencontrées ont déclaré qu’elles n’avaient reçu aucun soutien psychologique, et n’avaient pas bénéficié de soins de santé mentale.
La Commission d’enquête sur le Soudan du Sud de l’Union africaine, dirigée par l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo, a indiqué dans son rapport final que les traumatismes semblaient être une conséquence majeure du conflit.
Une étude réalisée entre octobre 2014 et avril 2015 par la South Sudan Law Society (Association des juristes du Soudan du Sud) et le Programme des Nations Unies pour le développement auprès de 1 525 personnes au Soudan du Sud dans des zones touchées par le conflit a permis de déterminer que 41 % des personnes interrogées présentaient « des symptômes correspondant à un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique ».
Selon le ministère de la Santé, on compte seulement un médecin et demi et deux infirmières/sages-femmes pour 100 000 habitants, tous par ailleurs basés de manière disproportionnée dans des zones urbaines.
Le secteur de la santé s’est vu allouer seulement 3 % du budget national pour 2015-2016, ce qui est bien loin des 15 % promis par les gouvernements africains dans la Déclaration d’Abuja en 2001.
Des violences perpétrées à l’égard des populations civiles les plus vulnérables
Le second rapport d’Amnesty, « We are still running » : War crimes in Leer, South Sudan, relate les actes terribles de violence infligés à des civils et à des villages entiers par les forces gouvernementales et les milices alliées, en violation flagrante de l’accord de paix conclu en août 2015 entre le président Salva Kiir et son vice-président Riek Machar.
Il dévoile que les forces gouvernementales sud-soudanaises et les milices alliées ont pourchassé et tué des civils, violé et enlevé des femmes, volé du bétail et incendié des villages dans des bastions de l’opposition situés dans le comté de Leer, dans l’État d’Unité, entre août et décembre 2015.
Ces crimes de guerre et autres atteintes aux droits humains commis à travers le pays sont la conséquence de l’impunité qui nourrit le conflit au Soudan du Sud, comme en témoigne la recrudescence des combats ces dernières semaines.
Parmi les personnes interrogées, 26 femmes et jeunes filles s’étaient enfuies ou avaient été libérées de captivité. Beaucoup ont été victimes de violences sexuelles et physiques répétées alors qu’elles étaient captives.
Selon le témoignage de Nyamile, qui a assisté à l’attaque contre la ville Adok Payam le 28 octobre, six jeunes filles ont été attachées, violées, puis kidnappées.
« Nous avons élu le président et maintenant il nous tue... C’est pourquoi nous demandons à la communauté internationale de dire à Kiir d’arrêter de nous tuer. Les femmes souffrent beaucoup. Une femme a été utilisée [violée] par six hommes. »
Tous les témoins et victimes interrogés ont déclaré que les soldats qui les ont attaqués portaient des tenues militaires de camouflage. Une femme a déclaré : « L’uniforme était celui des soldats de Salva Kiir. »
Maluth, père de trois enfants qui a survécu à l’attaque contre la ville Gondor Payam en novembre 2015, a déclaré : « Les ennemis sont arrivés. Nous avons couru jusqu’à la rivière. Ils ont tiré [et tué] mon frère dans la rivière. Et ils ont tiré [et tué] ma belle-mère chez elle. Ensuite, ils ont attrapé ma sœur et mon épouse, les ont emmenées à la rivière et les ont violées. Puis ils ont mis le feu aux maisons. »
Action terminée